Un duo qui bat en retraite

Dans la vie politique, il arrive souvent que la notion de duo soit efficace, car elle permet tous les accommodements possibles avec la vérité. L’un peut précéder, tester, attaquer et l’autre, par exemple, réfléchir, décider, apaiser. Il arrive aussi que le premier joue le rôle de la première lame et se sacrifie sur l’obstacle pour permettre à l’autre de récolter sans risques les lauriers de la victoire. Enfin, il existe aussi les voix divergentes permettant de récolter globalement les soutiens du pour et du contre. On trouve, enfin, l’éternel scénario du « méchant » et du « gentil »…de telle manière que chaque jour, le duo occupe alternativement le devant de la scène, selon le principe que l’un inquiète et l’autre rassure. L’interprétation actuelle de la Constitution permet de travailler en permanence sur les scénarios possibles.
Le Chef de l’État français et le premier de ses Ministres usent et abusent de cette soigneuse répartition des rôles, grâce à des « pièces » écrites à l’avance. Depuis plusieurs jours, c’est même un festival entre l’Élysée et Matignon, grâce à la complicité des médias dominants, auxquels on lance en pâture des bribes de plus en plus grosses de la future réforme des retraites. Ravis d’obtenir des scoops ressemblant à des « ballons sondes », les journalistes permettent de tester le climat général et de détecter les éventuels signes inquiétants de révolte, en une période où la résignation permet d’espérer aller jusqu’aux vacances sans trop de risques. Certes, il y aura le 24 juin, mais en cette fin d’année scolaire le mouvement aura bien du mal à réveiller une apathie généralisée. On a lentement mais sûrement conduit l’opinion publique (annonces d’Estrosi, démenti de Woerth, attaques présidentielles contre Mitterrand et de la Jeanne d’Arc du Medef…) a accepter de fait l’abandon de l’âge du départ en retraite à 60 ans. Comme les sondages ne sont pas massivement hostiles à une remise en cause de cette avancée sociale, jugée irréaliste grâce à des campagnes de communication structurées, ce n’est plus un secret, et François Fillon s’est fait un devoir de le clamer à nouveau.
La retraite à 60 ans est morte et enterrée, a dit en substance le Premier ministre hier, lors d’une réunion politicienne à Paris, avec des militants UMP: « Il serait lâche de notre part de dire aux Français que leur retraite pourrait être assurée sans prolonger la durée d’activité et sans toucher à l’âge légal et au symbole des 60 ans. » Le message s’adresse à l’opinion, et permet, durant le week-end, de préparer les annonces rectifiées du Président. Nicolas Sarkozy n’a pas encore, selon les gens généralement bien informés par des coups de téléphone bien cadrés, terminé ses arbitrages, qui seront dévoilés mercredi matin. Il faut, avant l’annonce du conseil des Ministres, faire comme si le débat faisait rage entre l’aile « libérale » de la majorité, représentée par Matignon, et l’aile « sociale », appuyée par le conseiller du Président, Raymond Soubie, conseiller émérite es-syndicats du Chef de l’Etat français.
En fait, tout est bouclé, car… la France n’a plus le choix : elle devra payer cash les erreurs de gestion antérieures comme le bouclier fiscal, comme les exonérations sociales non suivies d’effets, comme le refus de recourir à des mesures drastiques sur le capital. Personne ne peut se dire surpris par ces décisions qui vont plomber la relance et plonger le pays dans une récession liée à la diminution du pouvoir d’achat, et donc du seul moteur possible du redressement : la consommation intérieure. Côté « libéraux idéologues », le chef du gouvernement se fait le héraut d’une réforme la plus efficace possible sur le plan financier. La gestion n’a plus rien d’humain ou de durable, elle devient chaque jour davantage comptable et circonstancielle.
Il faut trouver 45 milliards d’euros d’économies sur les dépenses publiques d’ici à 2013, a répété samedi le premier ministre, si la France veut réduire son déficit à 3 % du PIB. Y compris en créant pour les retraites « de nouvelles sources de financement, car l’effort doit être partagé par tous ». François Fillon milite donc pour la retraite à 63 ans, votée à la hussarde, le plus tôt possible ! Fillon joue au « Père la rigueur », sans rappeler que dès septembre 2007 il avait annoncé la couleur en rappelant que 6 ans de gouvernement libéral antérieur avaient conduit la France « à la faillite ». Cette petite phrase avait fait grand bruit : «Je suis à la tête d’un Etat qui est en situation de faillite sur le plan financier, je suis à la tête d’un État qui est depuis quinze ans en déficit chronique, je suis à la tête d’un État qui n’a jamais voté un budget en équilibre depuis vingt-cinq ans. Ça ne peut pas durer.» Et allègrement, il a contribué à creuser encore plus ce déficit par des réformes totalement inefficaces : aucune mesure n’a changé la donne initiale, et comme la crise a accentué les ravages causés par une politique privilégiant le profit sur le social, on va faire trinquer celles et ceux qui, dans le fond, ont déjà le dos le plus courbé, et qui sont tétanisés par les suppressions d’emplois !
Il restera à l’Elysée à gérer et à tenter de donner une dimension « sociale » à son occupant. Fillon va le plus loin possible. Le Premier des ministres cumulards a même expliqué : « La justice va nous conduire à solliciter de nouvelles sources de financement, parce que l’effort doit être partagé par tous », mais n’est pas revenu sur ce qui avait été envisagé, la taxe sur les revenus supérieurs à 11 000 € par mois. En effet, d’après le Figaro , le gouvernement a renoncé à cette mesure, qui devait temporairement faire une entorse au bouclier fiscal, au motif qu’elle pénaliserait l’électorat des cadres. « Certains revenus vont être durement amputés, il ne faudrait pas perdre sur tous les tableaux », explique un ministre très proche du dossier, qui fait référence aux autres impôts ou taxes… à venir. Pour compléter, le gouvernement puisera dans le Fonds de réserve pour les retraites, qui contient de quoi effacer une année de déficits (34 milliards d’euros), créé… par Lionel Jospin, dont on sait bien qu’il n’avait jamais rien fait pour régler le problème des retraites. Si on a beaucoup parlé de la fin du « symbole des 60 ans socialistes » on a oublié de parler de cette décision, qui maintenant va rendre un petit service.
Le duo va fonctionner et l’Elysée va jouer la carte joker « sociale » avec le choix de 62 ans (au lieu de 63), puis va décider de ne pas « surtaxer » les fonctionnaires en une seule fois, et va peut-être retoucher le dispositif sur les hauts salaires. Gloire à Nicolas Sarkozy, plus conciliant et social que son ami de toujours installé à Matignon. Peut-être un ou deux points de plus ! Pas pour les retraites mais pour les sondages ! C’est le plus important. Vous verrez, fin juin, Nicolas Sarkozy aura réussi son numéro de duettistes !

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