Georges Briquet m'a communiqué sa flamme du Tour !

J’ai toujours aimé le Tour de France et je l’assume… C’est vrai que c’est « has been » d’affirmer que l’on prend du plaisir à s’installer devant un poste de télévision pour suivre une étape de la Grande Boucle. Le chic du chic tient dans une attitude méprisante ponctuée de quolibets à l’adresse de ces coureurs professionnels considérés comme tous dopés ou tricheurs… C’est exactement le même sort que celui que l’opinion réserve aux femmes et aux hommes politiques « tous pourris ». N’empêche que pour ma part je demeure un spectateur attentif de ce véritable show sportif donné sur la plus grandiose scène possible durant le mois de juillet. Et ce n’est pas nouveau… car le Tour est entré en moi depuis des décennies !

1949-reportageDans mon enfance, les étranges lucarnes n’existaient pas mais ma passion naissante pour les acteurs de la « légende des cycles » ne fit que croître et embellir grâce à la voix lointaine de Georges Briquet. Je vais même ajouter que c’était encore plus merveilleux que maintenant car ses récits dignes des passages épiques de l’Iliade et l’Odyssée permettaient de laisser l’imagination gambader. Ce véritable bateleur des ondes avait rodé sa verve dans des circonstances exceptionnelles puisqu’il était sorti indemne moralement de l’enfer de Dachau grâce à un micro factice confectionné par ses camarades de déportation lui permettant de relater de fausses arrivées des étapes d’un Tour de France imaginaire. Ayant débuté avec le commentaire du…tirage de la loterie nationale il avait vraiment donné une dimension nouvelle à une épreuve sportive dont les familles allaient surtout voir massivement les flonflons de la caravane distributrice de « cadeaux » aussi précieux que des chapeaux en papier ou des échantillons. J’en étais !

4CV-RENAULTLes expéditions familiales pour aller sur un bord de route étaient préparées de longue date à partir des cartes publiées par le quotidien régional. Et à l’annonce du parcours (nous avions le privilège d’être au nord des Pyrénées et d’avoir la ville étape fétiche de Bordeaux) une réunion familiale permettait d’envisager une sortie annuelle exceptionnelle. C’était rituel. Le village se concertait pour dénicher le lieu précis jugé le plus adapté à un pique-nique au moins aussi attendu qu’un festin princier. Chacun avait son itinéraire, son programme et ses intuitions ! Cette journée se préparait en effet avec autant de minutie qu’une expédition dans une terre inconnue.

Mon père utilisait l’une de ses rares journées de congé afin de nous permettre de vivre ce que nous considérions comme un privilège réservé aux heureux propriétaires que nous étions d’une « 4 chevaux » d’occasion ! Un privilège qui nous rangeait dans la catégorie des « riches ». Les bouteilles fraîches (glace récupérée à la boucherie), les tomates à la croque-sel, les fruits non aseptisés, les escouades d’œufs durs que ma mère avait préparés la veille, les boites de pâté et les tranches de jambon du cochon tué dans une froide matinée de janvier fournissaient avec le pain du « sept cents » des sandwichs dont je n’ai jamais retrouvé la saveur. Le départ matinal ne nécessitait pas la mise en place du réveil car l’excitation était à son comble. C’était pour mon frère et moi l’occasion de partager un moment de cette « aventure » cycliste que nous ne pouvions en aucune manière parodier puisque je n’ai reçu mon premier vélo que pour faire les 12 kilomètres journaliers qui me séparaient du cours complémentaire.

Les improvisations de Georges Briquet et son talent pour décrire le contexte paysager des exploits des coureurs prenaient un autre valeur puisque cette fois nous serions justement dans l’ambiance sous la pluie battante ou sous un soleil de plomb. J’espérais secrètement avoir le temps d’apercevoir ces héros des temps modernes dont il vantait les prouesses ou les défaillances, leurs mérites ou leurs échecs, leurs rivalités ou leurs collusions. Des noms trottaient dans ma tête…et je caressais le rêve de voir une flèche blonde débutante du nom d’Anquetil émerger en tête du peloton. En fait tout se passait en un éclair au milieu des klaxons, des motos portant des reporters en veste de cuir, des automobiles colorées et il me fallait déjà beaucoup d’imagination pour détecter le porteur du maillot jaune dans un peloton lancé à la poursuite d’échappés inconnus !

23-300x284Les marchands de journaux ou de magazine postés sur la plate-forme arrière des camions énumérant dans les hauts parleurs du toit leurs promotions exceptionnelles ; les motards acrobates défendant la sûreté d’une marque de pneus ; Yvette Horner perchée sur le toit d’un véhicule guetté par mon père fan d’accordéon, les flonflons de drôles d’engins roulant identifiés à vocation publicitaire ; les chamailleries entre gamins pour récupérer un stylo Bic, un carré de chocolat Poulain, un sachet de 2 ou 3 pastilles Valda, une bouchée de vache Qui Rit ; les chapeaux de papier Cinzano ou les promotions de pichets Ricard : la caravane avait au moins autant d’attrait que le parc actuel de Disneyworld ! Il me fallait patienter car le Tour c’était sérieux avec des minutes, des secondes, des écarts, des calculs ! La caravane n’effaçait pas dans mon esprit le passage de ces augustes « coursiers » dont je ne savais pas qu’ils ne vivaient pas uniquement d’amour de leurs supportrices et d’eau fraîche fournie par leurs directeurs sportifs.

Dans le fond peu m’importe encore maintenant : je suis « croyant » et je le reste et donc je ne suis pas plus ridicule qu’un admirateur (trice) d’un chanteur monté sur scène ivre ou shooté à mort pour être à la hauteur des espoirs de ses fans. J’aime ce Tour avec ses tricheurs, ses excès, ses valeureux, ses minables, ses défaillances, ses exploitants d’exploits ou ses manœuvres peu glorieuses… car il est vraiment simplement un condensé de la vraie vie sociale à toutes les époques !

Cet article a 3 commentaires

  1. J.J.

    Et les noms de ces coureurs je m’en souviens : Koblet, Kubler, Roger Hassenforder (qui tenait encore un restaurant il y a quelques années à Kaysersberg), Marinelli,Louison Bobet et son frère, Robic, Guy Lapébie, Brambillat, Appo(llon) Lazaridès… En cherchant un peu, j’en trouverais d’autres, et combien d’autres encore que tu pourrais sans doute citer….

    J’écoutais Georges Briquet surtout le dimanche après midi dans son émission « Sport et Musique »dont l’indicatif était il me semble, une œuvre d’Enrique Granados.

    Et ça ne nous rajeunit pas !

  2. cortot

    Souvenirs , souvenirs ..ils sont aussi vivants et ressemblants que tous les miens !! même cérémonial de préparation de départ ..avec en plus des radis du jardin semés en vue de cette grande sortie familiale ..<cousinade ..<la vraie tribu des gens du voyage. c'était notre tour du Monde dans la traction de mon père .506 BB 89 que je conduisais sur les petites routes ou chemins de campagne à 12 ans <<accompagnée bien sur << 2 voitures dans ce petit village ou tout le monde étaient présents pour les fêtes et pour les peines .Comme l'écrit si bien J. Marie j'aime toujours le tour de France avec les bonnes et mauvaises nouvelles. Le rêve de toutes ces années pour des gosses n'ayant pas toujours la radio dans leur foyer < font sourire aujourd’hui les enfants ou les adolescents qui sont gavés avant de savoir marcher ..SONT ILS PLUS HEUREUX DANS CETTE GÉNÉRATION DE FAIBLE RENDEMENT ,?

  3. Michel d'Auvergne

    L’étrange lucarne, aux coins plus qu’arrondis en ces temps, nous montrait en noir et blanc de superbes paysages qui me faisaient oublier la grisaille « parigote » que je supportais déjà mal à cette époque, aussi Bobet, Anquetil c’était synonyme d’évasion !

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