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Le retour en force du partage de la tablée collective

Une grande tablée familiale ou amicale reste le plus sûr moyen de créer du lien social. On y découvre le vrai caractère des gens et surtout on y tisse des relations sociales devant un repas dont la qualité ne dépend pas nécessairement du menu. D’ailleurs, plus il est simple et plus il permet l’échange. Indiscutablement sous un ciel étoilé le contenu des bouteilles n’a plus la même importance puisque la menace d’un retour au bercail pouvant être contrôlé pèse sur le remplissage répétitif des verres. L’échange s’en ressent parfois dans son intensité et sa saveur mais on y gagne désormais en clarté au fur et à mesure que la soirée avance. Les bavards, comme moi, n’ont guère besoin d’un breuvage de grand renom pour prendre place parmi les référents des discussions. La confiance établie par le premier partage de l’apéro se renforce au fil des plats et souvent, selon un principe reconnu, les langues se délient grâce à un bon rosé frais. Les repas familiaux ou amicaux n’ont pas la même tonalité selon la saison. Autant ils peuvent être ennuyeux et longuets en hiver autant ils respirent la légèreté, l’enthousiasme participatif en été. Ils sont désormais branchés !Des centaines de communes exploitent ce créneau avec des « marchés fermiers » ou des « marchés gourmands » ou des « marchés nocturnes » rassemblant des publics avides de revenir sur leurs racines.
Durant des siècles la France a vécu au rythme des fêtes de fin des moissons qui rassemblaient des familles allant du grand-père au petit-fils, des voisins solidaires, des ouvriers occasionnels ou habituels. D’un hameau à l’autre, d’une ferme à l’autre les agapes rassemblaient les générations et les classes sociales. Cette soif de partage du plaisir des tablées diversifiées est bizarrement restée dans les gênes sociales. Les rendez-vous actuels ne sont de fait que la résurgence de ces « gerbebaudes » d’antan après de longues heures passées à transformer la moisson en sacs ventrus garnis de céréales.
Le vrai problème c’est que les références historiques ont disparu et que l’on a « artificialisé » ce qui était naturel dans les rapports sociaux. Le besoin de retour vers les origines s’accentue chaque année davantage dans un contexte où, inconsciemment, les moins de 50 ans découvrent ce que leurs aînés ont voulu oublier en se parant d’un modernisme flatteur. Il devient alors de bon ton de se goinfrer de « haricots-couenne », de « moules-frites », « d’entrecôtes-cèpes », « de charcuterie du pays », de « saucisses ou de ventrèches grillées », de « fromages de la ferme », de « merveilles dodues », de « crêpes suzette »… et de tant d’autres mets réputés « rustiques » que tout le reste de l’année on méprise en allant dans les restaurants rapides ou plus gastronomiques.
En fait la France entame un troisième cycle de sa mutation. Il y a eu celui de la ruralité (La France grenier à blé) dans laquelle le lien social existait par les nécessités du travail nourricier. Au fil des saisons on passait des veillées hivernales ou du « tue-cochon » aux cérémonies familiales religieuses printanières en allant vers justement ces repas partagés estivaux ou des retrouvailles pour une cueillette ou une récolte. Lentement au début du XX° siècle le mouvement de transfert de la « ruralité » vers « l’industrialisation » que Ferrat a immortalisé dans sa chanson « la Montagne » a effacé des pratiques collectives ces temps de vivre ensemble. A la fin de ce même siècle est apparue une nouvelle donne avec l’apparition des néo-ruraux soucieux de fuir les villes pour justement retrouver une vie oubliée par leurs parents mais dont leurs grands-parents avaient entretenu le mythe. Ils recherchent justement cette convivialité qui leur manquait dans le contexte d’un urbanisme vertical, concentré, artificialisé et ils fréquentent avec plaisir les soirées qui leur sont proposées même si elles manquent parfois beaucoup d’authenticité. Ils se transforment en ruraux d’antan l’espace d’un soir! Malheureusement c’est qu’éphémère et superficiel.
Une autre tendance porte un milieu social plus élevé, à aller vers des repas organisés spécifiquement pour favoriser l’enrichissement de réseaux personnels ou collectifs. Rien à voir avec les « déjeuners d’affaires » contraints ou « grandes tables étoilées » conduisant à l’extase culinaire ! On va de plus en plus vers les soirées réputées « sympas » avec barbecue ou plancha donnant la sensation d’un partage populaire permettant aux invités d’échapper aux codes du quotidien. Les anciennes et épaisses tables en bois pour « saucissonnades » ou « jambonnades » à la ferme servent de supports à ces retrouvailles qui, là encore, séduisent de plus en plus de monde. Dans une société compliquée,aseptisée, basée sur les apparences trompeuses, on assiste partout à un vrai besoin collectif de retour sur des marques du temps passé. Nostalgie ? Pas certain. Nécessité ? Certainement ! Alors partez avec votre opinel dans la poche, achetez votre verre « développement durable » et lâchez-vous car il vaut lieux se mettre à table en avant qu’en marche… arrière !

Cet article a 4 commentaires

  1. J.J.

    Le repas partagé, la religion en a abondamment usé, en utilisant un réflexe humain quasiment instinctif : la sainte cène, la communion, la rupture du jeûne etc…

    La convivialité « commensale » a été pratiquée dans toutes les sociétés (avec plus ou moins de bonheur, cf les orgies romaines) , avec pour origine, le partage du résultat de la cueillette ou de la chasse.
    Ce plaisir, primitif à l’origine, est sans doute une des bases de la socialisation, avec le partage du travail.
    Je me souviens d’un agriculteur, ou plutôt un paysan, il y a déjà quelques décennies, qui déclarait : « la télé et la moissonneuse batteuse on tué la solidarité dans les campagnes. »

  2. bernadette

    La batteuse était une machine fixe qui servait à battre le blé pour en récolter les grains. Les grains étaient ensuite acheminés à la minoterie ou au moulin pour être moulu afin d’en faire du pain.
    Les moulins avec leur meunier ont fait partie de la vie des paysans. C’était également la polyculture : vigne/blé/pommes de terre/luzerne/choux/betteraves ; ces 3 dernières productions étaient utilisées pour les animaux de la ferme (lapin,vaches) sans oublier le maïs pour les volailles.
    Tout ceci constituait la consommation annuelle familiale.
    Au temps des moulins, les petites rivières étaient poissonneuses (goujons, gardeches etc…)

    C’était ça la vie paysanne….

  3. bernadette

    Je rejette cette association de croyance : vie paysanne / moyen âge.

  4. Catherine

    Com-pagnon, co-pain : celui/celle avec qui on partage son pain

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