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Paris par le menu (1) : le restaurant des vanités

En 1981 la vague mitterrandienne a permis à bien des élus locaux de découvrir les joies de l’assemblée nationale et à ceux qui les avaient accompagnés dans leur vie politique. La période est beaucoup moins rigoriste qu’elle ne l’est actuellement et il est donc possible de goûter aux avantages du pouvoir. Le rêve des gens de gauche résidait dans l’approche d’un système dont ils avaient été exclus depuis des décennies. Aller déjeuner à l’Assemblée nationale constituait un privilège que l’on réservait aux proches.

Le restaurant du dernier étage de la rue de l’Université avait un excellent rapport qualité-prix même si le contexte convenable mais jamais ostentatoire, n’a jamais égalé celui du Sénat. Le cadre ainsi que la manière dont était assuré le service constituaient cependant pour un militant monté de province, des atouts émotionnels indiscutables. Lorsque Pierre Garmendia, député de la 4° circonscription et donc de Créon, en ce mois de novembre, m’invita à partager un repas j’avoue en avoir été honoré. Il avait déjà pris ses repères au Palais Bourbon et donc ses aises au restaurant.

Pour accéder en ce lieu (c’est pire à la buvette sorte de bistrot proche de l’hémicycle) où se jouent les complots complexes, les alliances secrètes, des soutiens non-durables, les oppositions farouches ou de circonstances et où ne se nourrissent pas seulement les corps mais aussi les haines il faut en effet être chaperonné par un député.

En effet en arrivant de l’ascenseur et avant de descendre les quelques marches conduisant aux tables, le « visagiste » doit identifier le « responsable » du groupe. Il a pour obligation de plancher de longues heures sur les visages de ceux que le suffrage universel a consacré comme représentant du Peuple.

La bonhomie et surtout la stature de Garmendia ne posa aucun problème de reconnaissance. Il devint vite comme ses collègues girondins un « personnage » du restaurant. Il est vrai que les gens du Sud-Ouest jouissaient d’une solide réputation de gourmets très décontractés.

Le plus connu d’entre eux n’était autre que le député-maire de Talence André Deschamps compte-tenu de son appétit légendaire. Ainsi un jour en descendant l’escalier conduisant aux places réservées à l’avance par les attachés parlementaires pour leurs patrons il croisa au déjeuner son collègue de la Rive-Droite.

Il sortait de table… où il avait comme de coutume largement fait au honneur à la cuisine du Palais Bourbon n’ayant rien en cette circonstance d’électorale. Sa grande spécialité était de faire venir le chariot copieusement garni de desserts en tous genres et de demander une part de chacun d’entre eux.

– » Où allez-vous ? » demanda-t-il aux convives qui arrivaient ?Où veux-tu que nous allions ? A table…

Bon bien je viens avec vous ! » lança de Talençais qui avait déjà déjeuné seul. Ses amis décontenancés assistèrent au second repas à leurs cotés même s’ils constatèrent que cette fois il était resté sur un seul dessert !

Impossible d’entrer dans ce lieu sans respecter les codes vestimentaires réputés seyants. Jusqu’à récemment et encore plus en 1981 malgré les promesses d’un changement profond, la cravate était obligatoire. Si par hasard vous ne possédiez pas cet accessoire de la bienséance, le préposé au filtrage des entrées allait dans un placard récupérer une cravate frappée du logo de l’assemblée nationale pour vous permettre d’entrer. Pour certains invités le petit jeu consistait à arriver sans cravate pour ensuite profiter d’une sortie groupée et s’esquiver avec un trophée souvenir.

Il paraît aussi, mais ce ne sont que des « rumeurs » que les couverts disparaissaient et même parfois les serviettes de table. En fait la « cantine » des un.e.s devenait l’établissement exceptionnel des autres et les rapports humains n’étaient pas des plus glorieux.

Des relations amicales se nouaient pourtant vite entre personnel et député.e.s ne se prenant pas pour les « maître.esse.s du monde »… Pour les Girondin.e.s c’était assez facile puisque les serveurs avaient souvent fréquenté le lycée hôtelier de Talence avant de faire carrière dans des restaurants renommés en France ou à l’étranger et être recruté par la structure gestionnaire du Palais Bourbon.

Durant des années, lors de mes passages à l’invitation de Martine Faure, j’ai eu droit à une retentissant : «  tiens voilà le chef de la banda de Targon (sic) ! » de la part d’un serveur possédant le sens de l’humour girondin. Il savait pourtant que j’étais de Créon et ne manquait jamais de rappeler combien il apprécié la simplicité et la gentillesse de la députée de « sa » circonscription mais il me posistionnait à Targon dont il gardait un souvenir de fêtes peu résussies.

Ainsi lors d’un repas en 1981 je me retrouvais à une table avec Marcel Join Député de Talence grâce à l’entrée au gouvernement de Catherine Lalumière et l’un de ces collègues landais fraîchement installé dans les mêmes circonstances. Le serveur en s’approchant salua Pierre Garmendia qui me présenta et Marcel Join mais buta sur l’identification du néo-parlementaire socialiste réputé pur et dur. Gêné il attendait que ce dernier se présente ou l’aide  :

« Comment vous ne me reconnaissez pas ! » lança le Landais en question plongeant l’employé dans une confusion coupable visible. « Vous ne me reconnaissez pas alors que c’est votre boulot ? » J’étais on ne peut plus embarrassé par cette attitude détestable. «  J’en parlerai à votre patron qui n’est autre que le Député que je remplace… ». Pierre Garmendia tenta une médiation en donnant un indice au serveur qui finit par sauver la face.

Ce jour-là, j’ai mal mangé j’ai compris que les apparences d’un pouvoir peuvent vraiment monter à la tête de celui qui s’en croit détenteur. Et depuis je ne cesse de le remarquer…et souvent à table !

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