LE BLUES DES BLEUS

Fri, 07 Oct 2005 00:00:00 +0000

Ce soir, les ressorts des canapés vont souffrir. Les stocks de bière diminueront. Les manifestations sonneront creux. Les femmes auront du mal à imposer leur choix de programme télévisé. La France du ballon rond vivra intensément le rendez-vous le plus important de l'année. Elle attendra le miracle suisse, celui qui mettrait la bande à Zizou à l'heure du mondial allemand?Pour la durée d'un match, on retrouvera l'union sacrée. Bizarre signe du destin, tout se jouera sur la capacité des Bleus à faire sauter un coffre fort bernois. Fini le blocus du port de Marseille. Oubliés les marins corses. Enterrées les promesses télévisées de « Crin Blanc ». Banalisées les bisbilles internes des socialistes. Le sort du pays repose sur le bout de la godasse d'un milliardaire fragile des adducteurs.

Jamais dans notre société le foot n'a eu une telle importance. Il faut reconnaître que ce sport là occulte l'autre. Le foot spectacle étouffe celui des clochers. Bizarrement, celui des étoiles, n'a plus aucun lien avec le terrain où sont implantées ses racines nourricières. Il n'est fait que pour faire rêver ou pour être voué aux gémonies. Le bleu de notre ciel dépend de la réussite de gars pour qui le moindre pas, le moindre geste technique, la moindre inspiration, peuvent déchaîner les passions. Les millions se déversent sur la tête d'idoles peu regardantes sur les difficultés de ceux qui les adorent. Pour elles, le résultat ne changera qu'en mieux des exils dorés ou des parcours déjà glorieux. S'ils vont en Suisse d'habitude, c'est de manière plus anonyme, pour y visiter quelques consignes ou pour réaliser des placements moins hasardeux que ceux que leur demandera tout à l’heure Monsieur Raymond. Ce soir, ils ne mettront en jeu que leur réputation, sur un but en or.

Dimanche après-midi des joueurs de villages, de moins en moins motivés, entreront majoritairement sur des champs de patates pour des matchs incertains. Eux, ils ne jouent pas leur image sur une rencontre. Dans des clubs, rongés par le pillage organisé de leurs finances par une Fédération, une Ligue, un District, nourrisseurs de multiples parasites, ils tentent de garder leur passion pour un sport en perdition. Submergés par la vague des débutants, par le piaillement des  » poussins « , par les besoins des  » pupilles « , les dirigeants voient fondre leur investissement bénévole quand arrivent les + de 14 ans. Le foot ordinaire ne les attire plus. Ils sont usés par des saisons exigeantes, reposant sur des entraînements réguliers, intensifs, par des matchs trop nombreux, par des émotions de victoires ou de défaites présentées par les parents comme les égales de celles des vedettes. Ils ont accompli les rites des  » grands « , brandissant des coupes au-dessus de leur tête, effectuant des tours d'honneur retentissants, fêtant leurs exploits au Coca?Le sport cède alors la place à la facilité de l'inactivité, de la sortie avec les copains, de la liberté retrouvée. Parfois, la pression des résultats scolaires achève les espoirs de poursuite d'une carrière que les parents (maman souvent davantage que papa) avaient espérée prometteuse si ce n'est rentable. Ils iront parfois, dans leur vie, se réfugier dans le virage sud du stade Chaban Delmas pour brailler collectivement leur soutien inconditionnel à des Bordelais ayant un amour chaotique de leur maillot. Là, ils se construiront un statut désastreux de supporteur, celui qui vous fait oublier que le football professionnel n'est qu'un spectacle avant d'être un sport. Ils reviendront encore, plus tard, dans cette enceinte, quand leurs moyens leur permettront de passer sur les rangées des tribunes latérales. Un salaire ou une retraite modestes, mais assurés, les conduiront dans celle dite  » de face « ? Une profession libérale, un statut de cadre, des relations dans le milieu économique ou politique, les feront peut-être un soir, s'installer dans celle dite  » d'honneur « . La consécration qui débouchera sur un esprit plus critique. Jusqu'au soir où ils se décideront à rester sur le canapé, devant Canal +, car ils auront enfin les moyens de s'éviter un déplacement compliqué?Ils ne joueront plus au foot que par procuration, soit avec leur fils, soit devant la télé.

A moins que le virus les reprenne et qu'ils rechaussent, vingt ans après, des crampons usagés. Le temps de  » vétérance « , condense tous les plus mauvais cotés des pratiques collectives. Il leur permet surtout, simplement, de conter au travail des exploits dont ils avaient oublié les bienfaits depuis belle lurette. Des groupes se forment, hors fédération, sortes d'équipes identitaires issues de bars, de  » marque  » d'apéro, de métiers, de retrouvailles d'un maillot d'antan… Le plaisir principal réside dans ce sentiment obscur de ne plus vieillir. S'ils perdent des points, c'est, plus souvent, sur leur permis de conduire, après des soirées trop arrosées, que sur les terrains.

Les Bleus porteront, ce soir, en Suisse, tous les espoirs de cette famille disparate du ballon rond, celle des fistons admiratifs, celle des pères réputés fins tacticiens, des grands-pères blasés. Tous attendront le hold-up parfait, celui qui augmenterait le capital incertain de la  » petite entreprise  » Zizou & Co.

Si par hasard le « blues des Bleus » s'empare de l'Hexagone, la France manquera le rendez-vous de sa?glorieuse mondialisation. Nul ne peut prévoir l'incidence que ce désastre aura sur les échéances électorales prochaines. Il faudra bien que quelqu'un paie.  » Droopy  » rangera son télégramme sur la France qui gagne !  » Crin Blanc  » n'ira pas demain  » à la Clairefontaine « ?pour serrer les mains. Le  » Roquet de Neuilly  » convoquera immédiatement un colloque de l'UMP sur les mesures à prendre pour redonner du souffle aux Bleus. Henri, Arnaud, Vincent, Laurent, Jean Luc, Alain, rédigeront un amendement à leurs motions pour stigmatiser une tactique ayant renoncé à déborder par la gauche, la défense suisse. Jack, François, Dominique, Ségolène, Martine jureront que c'est la volonté, le pragmatisme, l'efficacité, qui ont manqué à une équipe déséquilibrée sur justement son flanc gauche. A Marseille, la grève montera d'un cran. Les ferries corses resteront encore longtemps à quai? Le dimanche n'aura pas le même goût.

Alors, ce soir, habillez vous en bleu, achetez une corne de brume, croisez les doigts et lâchez vous.  » Nous aurons gagné? ou ils auront perdu ! « . C'est l'enjeu de cette escapade d'un soir en Suisse.

Mais je déblogue?

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