FAITES LA FOIRE

Sat, 12 Nov 2005 00:00:00 +0000

L'ambiance des véritables foires m'a toujours séduit, car elle exprime le souci qu'ont les femmes et les hommes de flâner, de se rencontrer, de nouer des relations authentiques autour du plaisir de la découverte. Les villes bastides ont été conçues, il y a des siècles, pour servir de creuset aux marchés et aux foires. Alliant les concepts les plus modernes d'aménagement du territoire et de développement économique, ces cités se sont approprié des manifestations mêlant l'acte commercial et l'acte festif. Dans une société de l'aseptisation optimale, elles deviennent rares. La  » néonisation « , la  » réfrigération « , la  » pasteurisation « , la  » désinfection « , ont logiquement rassuré l'acheteur sur la qualité de ses achats, mais elles l'ont privé des couleurs, des odeurs et des saveurs qui donnaient son piment à la vie. La confiance repose cependant sur d'autres critères que ceux des règlements de la consommation. Il faut joindre le geste commercial à la parole. Il faut asseoir son activité sur la confiance. Il faut aimer son produit pour être capable de le vendre. Ce travail de fond a majoritairement disparu.

Un repas festif avec des escargots à la bordelaise, quelques canons de bon vin, ne correspond plus aux critères actuels du bien vivre. Il porte les germes de tout ce que la société condamne. Elle qui exige, désormais, une chaîne alimentaire protégée, des  » laboratoires  » impeccables pour cuisines, a du mal à admettre que l'on puisse aller, dans la campagne, ramasser quelques gastéropodes aux abords du cimetières, le long des haies ou dans les fossés pour en faire un menu de choix. La foire autorise de telles hérésies et nous étions 80, dans une atmosphère réfrigérante, pour déguster ce que l'on peut, de plus en plus, considérer comme un menu d'une autre époque.

Dans quelques années, plus personne ne saura ce que peut représenter cette tradition. La  » Mac'Donaldmania « , la  » pizza connexion « , la  » méthode micro ondes  » auront envahi les tables, et le fameux coude à coude des agapes, mêlant les générations et les niveaux sociaux, disparaîtra ad vitam eternam. Les bouteilles se font de plus en plus rares sur les tables. L'angoisse du contrôle, la culpabilisation d'un alcoolisme rampant, figent les comportements. Les plats traditionnels sont sacrifiés sur l'autel de la  » ligne « , ou pour un taux arbitraire de  » cholestérol « . La  » bouffe  » a mauvaise presse, alors que l'on tolère les pop corn, les en-cas, les gâteaux et les bonbons, les chips et autres appoints, responsables d'une épidémie d'obésité infantile problématique. Les marchés et les foires périclitent au profit des salons, des expos, des promos. On passe, à cause de la standardisation des esprits, à un rapport consommateur-producteur indirect, anonyme, distant.

Les manifestations dans lesquelles le dialogue demeure possible s'essoufflent. Elles paient comptant un système économique de concentration des achats.

Les fameuses  » centrales  » se sont approprié le marché privant, à priori, la clientèle de sa véritable liberté de choix. Elles sélectionnent, elles labellisent, elles promeuvent, elles pressurent, elles standardisent les offres et dirigent, de fait, les choix de leurs futurs acheteurs. Chaque fois qu'une crise monte, on prêche donc la vente directe qui donnerait un peu d'air aux producteurs. Inorganisés, formés à la production, mais pas du tout aux arcanes de la commercialisation, ces derniers n'ont pas conscience que les foires deviennent primordiales pour la constitution des fameux fichiers de clientèle. Ils renoncent à ce qu'ils considèrent comme un investissement immédiatement peu rentable.

Les foires, les comices agricoles, appartiennent donc au temps passé. Vitrines de la proximité historiques, ancrées dans une tradition, ils ont été sacrifiés sur l'autel de la rentabilité. Le monde agricole et viticole, pourtant de plus en plus obligé de vanter la qualité de ses produits, de justifier leur authenticité, dans un monde de la distribution jugé de moins en moins fiable, se détourne de ce qui nécessite du temps. La vente en gros n'a plus de beaux jours devant elle. Il faudrait donc relancer une véritable dynamique autour d'un système de  » vente directe  » codifiée. Je suis souvent extrêmement déçu que les  » marchés  » et les  » foires de plein air  » soient galvaudés. Trois camions de  » revendeurs  » et l'incontournable marchand africain suffisent pour que certains villages s'accaparent des concepts qui devraient être de toute urgence valorisés, sur la base d'une convention entre commerçants non sédentaires et producteurs. La dégustation, la discussion, la promotion manquent singulièrement au milieu économique, surtout dans le domaine de la viticulture ayant mis toute sa confiance commerciale dans le négoce. Avec, durant 3 jours, la mise ne place d'une autre politique (alliance de la qualité et du dialogue), Créon tente de mobiliser autour de  » Label Fête  » les partenaires potentiels.

Dans le cadre du développement d'une économie sociale authentique, il paraît en effet indispensable de soutenir tout ce qui concourt à la vente directe sous toutes ses formes. En soutenant les SICA, les coopératives, les artisans, en structurant les marchés et les foires, en subventionnant les déplacements des agriculteurs et des viticulteurs, ou des artisans, vers des clientèles particulières (déduction fiscale), en effectuant une véritable communication autour des vertus du dialogue producteur- consommateur, l'Etat et les partenaires institutionnels relanceraient probablement une nouvelle forme de distribution. Certes, il resterait à persuader un milieu économique très individualiste, mais l'enjeu est de taille.

Dans l'Entre Deux Mers, plus d'une centaine d'exploitations est dans le collimateur des sociétés de recouvrement de créances bancaires du Crédit agricole et déjà des ventes au tribunal se profilent. On attendra une révolte (sans voiture qui brûlent), pour tout à coup repenser d'autres formes commerciales moins spectaculaires que celles de la grande distribution. On attend beaucoup, au point que l'on est en droit de se demander si, dans le fond, la disparition des plus faibles (certains diraient  » les canards boiteux) n'arrange pas tout le monde.

Mais je déblogue?

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