CHANTIERS DE SISYPHE

Fri, 25 Nov 2005 07:38:00 +0000

Pour connaître l'état réel de la France, il ne faut pas se fier aux statistiques officielles. Il suffit de réunir autour d'une table tous les acteurs potentiels d'un projet, et d'observer leur façon d'aborder sa concrétisation. Une évolution extraordinaire s'opère, sous le regard indifférent de la population, préoccupée de tenter de se sortir de ses problèmes quotidiens.

QUATRE ANNEES. D'abord il y a les usagers bénéficiaires. La plupart d'entre eux ont souvent réclamé la mise en ?uvre d'un aménagement, d'un équipement, d'une structure. Ils espèrent obtenir satisfaction dans les meilleurs délais et ne comprennent pas toujours la durée entre l'accord et le lancement officiel du projet. Il faut une patience infinie pour se sentir enfin utile, et une opiniâtreté de chaque instant pour ne pas renoncer.

Ce soir on ouvrira, par exemple, à Lorient Sadirac, en Créonnais, la quatrième maison intercommunale de l'enfant dont le principe a été décidé en? 2001. Il aura fallu 4 longues années de concertations, de négociations, de préparations, de vérifications, de validations, de délibérations, d'adjudications, pour que le panneau soit dévoilé, et que les entreprises se mettent enfin au travail ! Mais le plus décevant, c'est que parfois, les intéressés les plus impatients ne supportent pas les contraintes de la réalisation. Ils râlent haut et fort pour un feu rouge ralentissant leurs déplacements automobiles ; ils pestent contre un accès provisoirement interrompu ; ils protestent contre le bruit, ou toute autre nuisance temporaire. Un route dangereuse ne peut pas être restructurée sans gêne pour la circulation. Un trottoir ne peut être rénové sans que les piétons soient invités à emprunter celui d'en face. Une construction réalisée sans camions de livraison de matériaux. Une tranchée creusée sans destruction de la chaussée sous laquelle elle se trouve. Et le pire, c'est que quand tout est terminé, ces aléas sont oubliés, et plus personne ne se souvient vraiment de la situation antérieure?Le temps passé n'intéresse plus personne. Le neuf vieillit devant l'exigence d'une modernité galopante.

UN GIGANTESQUE PUZZLE.- Ensuite, vous attaquez la réalisation, la phase durant laquelle normalement vous devriez être le plus détendu, puisque vous approchez du but. L'épreuve débute pourtant avec le moment où, maître d'ouvrage, vous tentez de réunir tous les services concernés. Construire c'est réaliser un gigantesque puzzle dont chaque pièce refuse obstinément de s'assembler aux autres. Bagarre entre les corps d'état, qui cherchent par tous les moyens à économiser ou à transférer sur l'autre une part de leur responsabilité. Recensement des défaillances nichées dans les milliers de feuilles des plans, des documents techniques, des clauses diverses. Et cerise sur le gâteau, discussion avec les concessionnaires du domaine public. Depuis la privatisation outrancière de leurs services, la coordination devient quasiment impossible.

Dans quelques jours commencera, autre exemple, l'aménagement de la Route départementale entrant dans la ville bastide par le Sud-Est. Hier, EDF, GDF (désormais séparés et rivaux), France Télécom, le Conseil général, la Lyonnaise des Eaux devaient s'accorder avec l'entreprise adjudicataire sur le planning de tous les travaux nécessaires? EDF a des fonds pour enfouir les lignes électriques, mais sous traitent désormais toutes ses réalisations. Vous devez donc attendre que l'entreprise adjudicataire veuille bien se rendre sur place. Etant donné qu'elle est forcément différente de celle que choisiront les autres? Elle creusera avant ou après, mais pas pendant? Le Gaz , lui, vous annonce sans sourciller que pour un chantier débutant le 7 décembre, ils ne pourront dévoyer leur canalisation que début? juillet 2006 ! Là encore, ce sera un autre entrepreneur, car il faut un agrément que n'ont pas les autres. Quant à France Télécom, il n'y a plus de pilote dans la boutique. On n'enfouit plus les réseaux, car les dividendes à verser aux actionnaires nécessitent que l'on réduise les dépenses : le poteau n'a jamais été autant à la mode. Et encore faut-il que l'on trouve un interlocuteur disponible car, là encore, le maître du jeu demeure le sous-traitant. La Lyonnaise ne sait pas toujours où passent les réseaux qu'elle exploite, et quand elle le pressent, elle en méconnaît totalement l'état. On verra bien le moment venu?Parvenir à un planning fiable, précis, durable, relève de l'exploit.

 LES BANQUIERS ATTENDENT.-  Enfin, il reste le meilleur : financer le projet. Là, c'est du grand art, car il faut jongler avec les délais d'accord pour les subventions. 8 à 15 mois sont indispensables pour obtenir tous les accords?obligatoires  à la délivrance de l'ordre de service, car si vous donniez le premier coup de pioche avant les arrêtés attributifs des fonds, vous les perdriez tous. Alors, vous guettez le courrier du matin, susceptible de vous apporter la bonne nouvelle, en sachant que les difficultés financières sont telles que des subventions sollicitées en 2004 ne sont toujours pas au sommet de la pile.

Le pire cependant réside dans le fait qu'il vous faut solder toute l'opération pour espérer récupérer cette manne de plus en plus rare. Les banquiers vous attendent avec le sourire, car ils savent que les lignes de trésorerie, ouvertes en permanence, sont désormais leur gagne-pain quotidien. Ils appliquent  la technique du  » crédit revolving « , aux collectivités qui sont tributaires de la fiabilité des engagements de leurs partenaires. Il vous faut au moins deux exercices pour récupérer les engagements pris, et encore sans parler de ceux de l'Etat qui a, au minimum, trois ans de décalage entre ses promesses et leur concrétisation.

Un jour, dans la quasi indifférence des citoyens, vous inaugurez l'équipement? On se moque allègrement de ces cérémonies officielles, des discours que l'on y prononce, des félicitations faciles que l'on y distribue?

Or elles ne constituent qu'une pierre blanche, une borne, posée au bord du chemin d'un temps toujours trop long pour les uns, et trop court pour les autres. Un repère sur un parcours jamais fini. Celui vers le progrès.

Mais je déblogue?

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