Le doute n'existe pas au sommet

Je ne prône qu’une manière de vivre. Certes elle est inconfortable, ou même parfois douloureuse, mais elle permet souvent de déboucher sur de profondes satisfactions. Je suis attaché à cette phrase d’Aristote : « L’ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit » ;et justement, c’est ce qui me permet de jauger la vie politique, car elle ne repose que sur ce triptyque. Rares sont les femmes et les hommes qui doutent de l’efficacité ou même de l’utilité de ce qu’ils font. Ils se rassurent en affirmant et en ressassant ces « vérités » qu’ils estiment être simplement utiles à leur réussite personnelle. Ils possèdent l’immense privilège de ne jamais se poser de questions sur leur action. C’est une manière comme une autre de tenter de ne pas douter, et donc d’avoir suffisamment de culot pour ne pas assumer un échec. Il est vrai que l’exemple vient du sommet de l’État, avec la position de Nicolas Sarkozy sur le « bouclier fiscal ». Dans l’indifférence du Peuple, gavé de propos subalternes ou de déclarations tapageuses sur des thèmes déconnectés de la vie quotidienne, il maintient par pure provocation un principe dont tout démontre qu’il allie l’inefficacité à l’injustice.
Plus de 99% des sommes restituées au titre du bouclier fiscal 2009 sont allées à des contribuables assujettis à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), selon des chiffres provisoires publiés par le Figaro (tiens donc!), et dont l’AFP a eu confirmation. D’après les dernières données officielles disponibles, les foyers « les plus favorisés », moins d’un millier en tout, ont perçu à eux seuls près de 63% du montant total, soit un chèque moyen de 376.000 euros. Au total, 16.350 contribuables ont bénéficié, pour leurs revenus de 2009, du bouclier fiscal, dont le principe de plafonner l’impôt à 50% des revenus est très décrié désormais. Le coût pour l’Etat a été de 585,6 millions d’euros, soit une moyenne de 35.814 euros restitués, par dossier… Une somme à rapprocher des estimations données par l’INSEE sur l’augmentation de la pauvreté en France. Mais ce chiffre sur le bouclier fiscal cache d’énormes disparités.
Si 53% des bénéficiaires (8.675) ne sont pas assujettis à l’ISF, les sommes que le fisc leur a remboursées au titre du bouclier ne représentent que 0,8% du coût total (4,8 millions d’euros). Soit un chèque moyen de seulement 565 euros par contribuable… soit de quoi payer leurs impôts locaux! Par conséquent, les 47% de bénéficiaires redevables de l’ISF (7.675) captent plus de 99% des sommes remboursées, soit en moyenne 75.674 euros. Mais même au sein des contribuables assujettis à l’ISF, les disparités sont criantes. 3.154 d’entre eux (19% du total des bénéficiaires du bouclier), qui se situent parmi les patrimoines les plus « faibles », se partagent 51,2 millions d’euros de remboursement (8,75% du montant total).
Dans la tranche au dessus, soit les 4.521 foyers restants, qui disposent d’un patrimoine supérieur à 7,36 millions d’euros et d’un revenu fiscal d’au moins 43.761 euros, ils ont perçu 90,4% des sommes restituées, soit un chèque de 117.142 euros en moyenne.
Un chèque dont le montant dépasse 376.000 euros pour le petit millier de « contribuables les plus favorisés », dont le patrimoine dépasse 16 millions d’euros. Moins de 6% des bénéficiaires reçoivent donc près de 63% des remboursements. Et rappelons-le, face à ce constat objectif (Le Figaro en est même retourné!), le Chef de l’Etat français campe, droit dans ses bottines avec talonnettes. Comment, dans le contexte actuel, peut-on être aussi idéologiquement entêté, borné, et déconnecté des réalités ?
En 2007 (en 2009 ce sera pire) , 8 millions de personnes, 13,4 % de la population, vivaient sous le seuil de pauvreté, correspondant à 60 % du revenu médian perçu en France. Ce seuil correspond à un niveau de vie de 908 euros par mois. Les familles monoparentales, les personnes appartenant à un ménage immigré, et les chômeurs, ont un risque plus fort de se retrouver sous ce seuil. C’est là le second volet de l’étude de l’Insee sur les revenus et patrimoines. L’institut note au passage que « si les inégalités de niveau de vie évoluent peu pour 90 % de la population, elles se creusent avec les plus aisés ». 1,614 million de personnes appartenant à des familles monoparentales, le plus souvent constituées d’une mère et de ses enfants, sont en situation de pauvreté. Elles sont plus fréquemment et plus intensément touchées que les autres familles. Autre cible privilégiée, les chômeurs  : avec un taux de pauvreté de 36,4 %, ils sont les plus touchés. « Toutefois, ajoute l’étude, occuper un emploi ne met pas à l’abri de la pauvreté » : 1,9 million de personnes en emploi vivent sous le seuil de pauvreté. » Par ailleurs, l’Insee note des effets d’âge, de génération et de date. De plus, l’influence des trajectoires individuelles est importante à prendre en compte dans l’analyse de la pauvreté. Ainsi, entre 2003 et 2006, 22 % de la population a connu au moins une année de pauvreté de façon transitoire. Le divorce, le décès d’un conjoint suffisent parfois pour y tomber. Et pendant ce temps, le Président de ce qu’il reste de la république de la liberté, de l’égalité et de la fraternité réunit, aux frais du contribuable, ses amis en son Palais pour leur clamer : « Ne touchez pas au bouclier fiscal ! » sur un ton ne souffrant pas le moindre doute…
« Le bouclier fiscal, c’est plus qu’un engagement de campagne, c’est une vraie conviction de la part de la majorité : si nous voulions attirer des investisseurs dans notre pays, il fallait mettre fin à un système fiscal confiscatoire », avait indiqué Luc Chatel, le porte-parole du gouvernement, quelques minutes auparavant. « Ce n’est pas étonnant, a réagi Michel Sapin, secrétaire national du PS en charge de l’économie. C’est l’un des fondements du sarkozysme ». C’est, dans le fond, le fondement de la décision présidentielle. Peu importe que tous les constats objectifs conduisent à la même conclusion : mesure inutile (les protégés du bouclier fiscal continuent à vivre en Suisse ou à exporter leurs fonds remis par l’Etat à l’étranger), mesure injuste (elle enrichit les plus riches et pénalise les plus pauvres, en les privant des recettes solidaires dont ils ont besoin), mesure absurde (la crise a modifié tout le contexte d’origine), mais mesure maintenue. « Le doute est l’école de la vérité » a affirmé Francis Bacon. On en est loin, très loin, de la part de celui qui passe son temps à débiter des certitudes.

Cet article a 4 commentaires

  1. PIETRI Annie

    Tu as raison, Jean-Marie, il faut dire, redire, insister, et expliquer à nos concitoyens à quel point ce système du bouclier fiscal, si cher à Sarkozy et à ses richissimes amis, est inique, injuste, et contraire à tous les principes de solidarité qui fondent notre République.
    Les montants des sommes restituées à un petit nombre de privilégiés est tellement exorbitant que la plus grande partie de la population n’arrive même pas à imaginer la perversité et l’énormité du concept, et ses incidences sur la vie de chacun, et en premier lieu des plus pauvres. On a un peu l’impression que la majorité d’entre nous pense que cela ne le concerne pas! Et pourtant, nous sommes tous concernés, et en premier lieu les plus défavorisés, qui deviennent de plus en plus pauvres pendant qu’une poignée de privilégiés deviennent de plus en plus riches ! Quand le président affirme que c’est là un instrument de justice fiscale qui bénéficie à notre économie, et qui va faciliter la reprise, il ment, il nous trompe, et il prend les français pour des imbéciles. Alors, réagissons, et essayons de faire comprendre à tous que cet entêtement est une absurdité.

  2. Danye

    Merci Annie, pour ce compte rendu clair qui peaufine les écrits de Jean Marie.

    Ce bouclier fiscal injuste est une injure pour les pauvres qui augmentent chaque jour.
    Il ne faut pas baisser les bras , réagir chaque fois qu’il est possible pour arrêter les < folies obsessionnelles de Sarkozy. Il ne fait que nous mentir depuis son arrivée au pouvoir.

  3. Christian Coulais

    Damnés de la Terre, levons-nous !
    Les vautours, vrais ou faucons, et autres rapaces déchaînés, ne seront jamais rassasiés de nous bouffer les quelques sous gagnés, trop vite dépensés à vouloir survivre parmi 6 850 000 000 et quelques d’individus enchaînés à la pauvreté financière, morale, intellectuelle…
    Essayez ce lien, il donne le tournis … http://www.worldometers.info/fr/

  4. GARNIER

    Comme je suis de gauche, j’ai tendance à penser (même si je doute) que la richesse du pays est essentiellement à mettre à l’actif de ceux qui travaillent. Si ceux qui gagnent le plus partent à l’étranger la richesse produite par le pays n’en sera guère affectée. Mathématiquement ceux qui restent gagneront plus. Alors je reste convaincu qu’il faut instaurer un revenu maximum interprofessionnel de croissance (RMIC). Au dessus de 30 fois le smic on prend tout.

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