Volte-face, compromission, trahison au centre d'une réforme !

Il faudrait que chaque Français puisse vivre en direct la vie parlementaire pour qu’il ait enfin conscience que la démocratie ressemble étrangement au théâtre de Guignol. En effet, les véritables acteurs n’apparaissent qu’à la fin de la pièce, et sont dissimulés dans la partie cachée du castelet, en ayant écrit les dialogues des marionnettes qui s’agitent dans une étrange lucarne pour amuser la galerie. Au risque de déplaire, il faut bien reconnaître que la seule véritable émission d’information de la télévision n’est autre que celle que prodigue synthétiquement « les Guignols » le soir quand Canal + existe. La plupart du temps, ils ne font que présenter de manière caricaturale une actualité que personne n’ose synthétiser à leur manière. Les dialogues constituent un condensé de centaines d’articles de presse, plus ou moins délayés et anecdotiques. La vie parlementaire française relève de la même pratique sociale. L’opposition n’a qu’un rôle limité et démoralisant, car elle se heurte à des manœuvres permanentes qui dénaturent le débat démocratique.
Par exemple, sur la réforme des collectivités territoriales au Sénat, où les pseudos centristes ont encore une fois capitulé devant les ukases élyséens. Une parodie extraordinairement démoralisante de ce que peut être le grand guignol sarkoziste. Des milliers d’élus locaux qui ne font pas… de politique vont, à la rentrée, après le lavage complet du texte à la lessive UMP par l’assemblée nationale, se retrouver cocus comme jamais. Dans la discussion les sénateurs avaient infligé deux défaites au gouvernement, et donc au chef de l’Etat Français. Le groupe union centriste, regroupant des ex-Bayrou, des néo-Bayrou, des Bayrou Canal historique, s’est livré à une véritable comédie digne des foires aux bestiaux où l’on discute le prix d’une bête ! Sur les deux sujets essentiels pour le sarkozisme : la compétence générale et le conseiller territorial, on avait assisté mardi à une véritable fronde de l’Union centriste. Vent debout, n’écoutant que leur courage provisoire, les sénateurs centristes, en s’alliant à l’opposition, avaient torpillé les deux articles phares de ce texte. Ils avaient d’abord refusé le mode de désignation des nouveaux conseillers territoriaux, qui doivent remplacer les conseillers généraux et régionaux. Le mode de scrutin, uninominal majoritaire à deux tours, aurait avantagé l’UMP et le PS. Les centristes, issus de petits partis, réclamaient donc une dose de proportionnelle. En vain… révolte ! Discours enflammés et croix de bois, croix de fer, si je me dédis, je vais en enfer !
Quelques heures plus tôt, ils avaient aussi annulé l’article redistribuant les compétences des collectivités locales. La suppression de la clause de compétence générale aurait permis aux communes de s’attribuer des missions jusqu’ici réservées par défaut à la Région ou au Département. Par 355 voix contre 5, les sénateurs ont supprimé l’article du projet de loi prévoyant la fin de la clause de compétence générale, qui donne pouvoir aux conseils généraux et régionaux d’intervenir dans tous les domaines de l’action publique. Elus de l’UMP, du centre et de l’opposition ont fait bloc contre le gouvernement.
Les centristes du Sénat estimaient avoir été menés en bateau par le gouvernement. Les dispositions sur le mode de scrutin et les compétences ont été introduites par voie d’amendement, en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, par des députés UMP. Les centristes ont donc peu apprécié d’être cocufiés. Mais comme les bons cocus, les héros s’en étaient aperçus trop tard, quand tout le monde le savait ! Ils étaient trompés depuis belle lurette, car incapables de faire passer leur conscience avant les consignes permettant à quelques-uns une opportunité meilleure de réélection en 2011 ! L’opposition, au Sénat, jubilait donc jusqu’à mercredi soir.
Invités à se rendre en pèlerinage à l Élysée mardi en début de soirée, ces révoltés du Palais du Luxembourg ont sûrement rencontré le Messie. « C’est l’Assemblée nationale qui aura le dernier mot », a dit le chef de l’Etat aux députés du Nouveau Centre, cité par le député de la Loire François Rochebloine. Le Président « est ouvert à un accord sur les deux questions qui posent problème », a ajouté Charles de Courson, également député de la Loire… et les bourgeois ont calé !
La nuit dernière, ils ont renié tous leurs votes antérieurs quand le gouvernement a demandé un Second vote sur les mêmes articles au nom « d’erreurs matérielles » ou de « captation de votes ». C’est à dire, en utilisant n’importe quel prétexte et en faisant pression sur des âmes sensibles aux échéances électorales, on est revenu sur des décisions acquises ! Mais bien évidemment à l’Élysée, autour d’un drink, personne n’avait évoqué le sujet, surtout pas l’hôte des lieux. Résultat, dans le nuit de mercredi à jeudi, tout le monde a avalé des couleuvres et la réforme bancale, totalement absurde, est passée de justesse… ce qui rend désormais tous les sénateurs qui l’ont approuvée complices de génocide territorial ! Ils ont approuvé la naissance d’un conseiller territorial, sans que l’on connaisse ses attributions, puisque la répartition des compétences ne sera maintenant faite qu’un an après la promulgation de la loi actuellement en discussion ! Les cantons disparaissent, mais les chefs-lieux de cantons demeurent. Le cumul des mandats est renforcé à la demande des centristes, sans que l’on en connaisse les raisons, avec le non cumul de deux mandats comprenant ceux de l’intercommunalité (adjoints, vice-présidents entreraient en ligne de compte…). Guignol ne ferait pas mieux ! Manipulés, retournés, sermonnés, secoués, certains sénateurs, pourtant réputés un peu plus indépendants dans leurs choix que les députés, ont courbé l’échine. Le dialoguiste de l’Elysée a soufflé le texte du jour, et tout est quasiment rentré dans l’ordre.
La presse, aujourd’hui, n’ayant pas eu le texte de la mouture sénatoriale (la séance s’est terminée vers 2 heures du matin selon le sénateur girondin Alain Anziani, qui est allé jusqu’au bout du débat) a développé une thèse erronée des courageux sages ayant résisté à l’assassinat des pouvoirs locaux, derniers remparts contre le pouvoir en mutation. Ce qui devait arriver est arrivé : la réforme est devenue inutile en terme de modification du mille feuille institutionnel. Au contraire, plus personne n’y comprendra quelque chose. On en arrivera à l’instauration d’un conseiller territorial, avant même de savoir quelles seront les répartitions des compétences entre les départements et les régions. Son premier levier semble n’être que la raréfaction des moyens financiers….pour étouffer les seuls contre-pouvoirs actuels, et plus encore monter une opération strictement politicienne devant permettre au « clan » de récupérer des exécutifs locaux perdus. Une opération qui ne peut pas se réaliser sans des trahisons et des complicités.

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