Mais où est passée la France?

Lorsque les Françaises et les Français débarquent dans un pays lointain, ils portent, qu’ils le veuillent ou non, l’image toute faite d’un peuple réputé pour non niveau culturel, pour sa connaissance du patrimoine et pour son sens de la qualité de vie… Ces références sont rapidement mises à mal dès qu’il s’agit d’entrer dans la réalité. Souvent, dans les voyages, le niveau du guide accompagnateur local suffit à vérifier si cette considération est ancrée dans les certitudes. De son niveau d’expression en français, ainsi que la manière dont il s’adresse au groupe, il est vite possible de détecter la place de la France dans le pays. En Ouzbékistan, Ihktior époustoufle par sa passion pour le français, qu’il parle avec talent, et une subtilité lui permettant d’aborder tous les sujets. Inévitablement, cette connaissance rend celles et ceux auquels elle est destinée extrêmement modestes. Comment imaginer un instant d’être à son niveau en ouzbek, en tadjik ou même en russe, même après de longues études supérieures ? Sa fierté de déclamer les morales des fables de La Fontaine, des vers du Roméo et Juliette shakespearien ou de Victor Hugo, ramène à l’importance de la diffusion du français à l’étranger… La présence visible de la trilogie « Coca-MacDo-Chevrolet » rend immédiatement plus modeste, quand elle s’ajoute à celle du jean et de comédies musicales américaines. Impossible de trouver une trace minime de la présence française… Rien. Absolument rien, à part quelques guides qui conduisent les caravanes de touristes venus de l’hexagone sur les places et dans les monuments bleus. Pas une automobile (les droits de douane sont rédhibitoires), pas une enseigne, pas une pub, pas une référence, pour permettre de se rassurer sur le rôle de la France dans le monde. Lentement, dans l’indifférence, la pratique de notre langue s’efface de la surface de la planète. La langue des philosophes, des écrivains, des poètes, n’a plus sa place dans le concert des nations, puisque nous sommes devenus des nains au niveau international.
« Vous savez, ici c’est le terrain de jeu favori des Allemands. Ils ont envoyé leur Ministre des affaires étrangères, et ils s’appuient sur leurs grandes marques. Hilary Clinton est passée à Tachkent, et les Américains, bien que pas forcément bien accueillis…, et moi, j’attends un signe de quelqu’un » explique franchement l’ambassadeur. « J’ai actuellement un marché diversifié de un milliard d’euros qui s’ouvre, mais personne ne s’est manifesté. J’ai vu Véolia passer et repartir. Les missions culturelles sur l’archéologie existent encore un peu, mais nous gérons, sur la plaque tournante de l’Asie centrale, pas tout à fait… 90 Françaises et Français, ce qui dénote notre investissement ». Son Excellence lance un SOS à mots couverts, comme tous ses collaborateurs. La grandeur de la France se résume à une peau de chagrin. Certes le CNRS ou les universitaires viennent creuser le sol ouzbek, pour percer les secrets des étapes de la route de la Soie, mais l’avenir ne parait pas mobiliser les énergies.
La réduction des crédits dans tous les domaines, la suppression des fonctionnaires, le déséquilibre de la balance commerciale, l’absence de dynamisme des entreprises dans des pays émergeants, la disparition des initiatives culturelles, finissent par éteindre la présence française dans le monde. Croire que nous avons encore les moyens correspondant aux déclarations effectuées comme autant de rodomontades inutiles, relève bel et bien de l’optimisme béat. S’il n’y avait pas eu les exploits footballistiques de Zinedine Zidane, et la décision « historique » de Chirac de ne pas accompagner l’invasion de l’Irak, la France n’aurait aucune reconnaissance en Ouzbékistan.
Les « Ikhtior » ne sont pas légion. « Nous avons eu des accords entre la région lyonnaise et ce pays sur la soie, mais c’est oublié… Une coopération semble germer entre la Dordogne et Samarkande, autour du thème de la restauration des monuments anciens, mais c’est insuffisant » avouait l’ambassadeur, heureux bénéficiaire d’une splendide résidence de l’ère des Russes blancs. « Nous venons de recevoir un jeune en contrat aidé, qui sera le seul étudiant français présent au titre du développement du commerce extérieur ». Un oiseau rare qui sera piloté depuis Limoges, sur le thème d’une éventuelle coopération autour de la porcelaine. Les Ouzbeks ont déjà obtenu le droit de fabriquer du « Cognac » et de marquer cette appellation sur le produit, sans pouvoir l’exporter. Il leur reste beaucoup de chemin à parcourir pour que leurs vins rivalisent avec les goûts occidentaux, mais ils occupent cependant le marché local, puisque les nôtres déboulent à des prix prohibitifs. Ikhtior éclipse le vide… D’ailleurs, lors d’une halte au milieu de l’immensité cotonneuse, la rencontre a mis la classe des étudiantes en français de Boukhara face à nous. Toutes s’épuisaient à collecter les kilos requis par le règlement, mais aux premiers mots prononcés, elles explosèrent de joie comme si toutes étaient soudain soulagées de découvrir que la France s’intéressait enfin à elles. Je suis certain que certaines pensaient que nous étions seulement virtuels, comme la politique actuelle de développement de la francophonie.

Cette publication a un commentaire

  1. Annie PIETRI

    Et oui ! Qu’est devenue la réputation de la France ? Sa réputation culturelle, sa réputation humaniste, sa réputation de grande nation dans le « paysage » international…. Je me souviens d’une époque où de nombreux pays étrangers accueuillaient un « lycée français », où l’Alliance Française » entretenait une délégation qui assurait le rayonnement de notre culture à travers le monde….Tout cela semble avoir disparu, sans doute parce que trop coûteux. Mais le récit que tu nous fait de ce voyage, de tes rencontres avec les habitants, de tes contacts avec les autorités locales laisse percer toutefois un espoir : quelques uns parlent très bien le français, comme votre guide, les jeunes étudient le français à l’école, et manifestent leur joie de rencontrer des « vrais » français. Cela montre bien qu’ils ont gardé une image attrayante de la France, et permet d’espérer que les échanges se multiplient, que des industriels français soient assez courageux pour tenter de conquérir ces marchés qui, à n’en pas douter, vont s’ouvrir et se développer. Ceux qui sont allés en Chine ne l’ont pas regretté….Pourtant, pour les pionniers, il fallait avoir du courage pour le faire ! Alors espérons, comme sans doute l’ambassadeur de France que vous avez rencontré à Tachkent, que les échanges de toutes sortes, culturels, artistiques, ou économiques se développeront et redonneront du lustre à la présence française dans le Monde.

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