Montréal, la cité de l'or perdu

Le ruban noir de l’autoroute luit sous la pluie qui redouble. L’autobus se hâte de transporter son lot de touristes, décalés dans le temps, vers la gare routière de Montréal, sorte de ventre d’où émergent des véhicules réputés avaler les kilomètres de ce continent démesuré. La nuit laisse transparaître des masses obscures d’immeubles aux tailles différentes. La ville déroule son anonymat, sans que l’on puisse arrêter son regard sur ce monde des ombres. Le décalage n’est pas qu’horaire, tant le périple est inquiétant. Plus aucun repère, et on se perd vite dans l’espace de ces grandes avenues, ouvertes sur des quartiers difformes, alliant le modernisme grandiose et les maisons cosy d’une Angleterre laborieuse. Montréal n’a rien de royal quand le soleil la prive de ses ors et de ses atours. Le noir est de rigueur, comme si une période d’ exil s’ouvrait, celle de cette saison qui, après l’explosion des couleurs, entrerait dans la tristesse absolue. Les larmes coulent à flots comme pour que le lendemain matin le sourire revienne dans les rues. Le nouveau visage de cette ville, installée sur un île, restera cependant mouillé et hésitant, même si les habits de lumière ont été sortis des armoires aux souvenirs, avec les plus beaux atours, des coffres généreux de dame nature.
Pour estomper cette mélancolie envahissante, Montréal se pare d’or. Elle exhibe des enfilades exceptionnelles le long de ses artères. Les orfèvres de l’automne ont méticuleusement découpé de minces feuilles qui tremblent dans un vent mauvais, messager de l’hiver. Elles frissonnent, lâchent prise pour aller joncher le sol, comme autant de signes d’une éphémère richesse. Les coffres se remplissent de cette fortune fragile. Montréal regorge d’or jaune et d’or rouge, avant que la crise efface tout ce luxe. Les maisons les plus modestes se parent de carrés « fortunés » dont le désordre poétique renforce la richesse. Les nuances de l’or s’entremêlent dans une légèreté insouciante. Splendide. Étonnant. Captivant. Émouvant. La plus modeste, la plus prestigieuse avenue étonne ou détonne. Partout l’or coule à flots, déversant sur les trottoirs, les pelouses, les allées des parcs, ses lambeaux arrachés à ces érables plus ou moins altiers.
Montréal voit son patrimoine extraordinaire s’évaporer au fil des jours. L’hiver menace. Elle se dépouille sous ce ciel de plomb qui évite au soleil de venir donner son éclat à ces feuillages flamboyants. inexorablement, la misère s’installe; les ramures se dépouillent pour, dans le plus simple appareil, se tourner vers les cieux et attendre que l’on veuille bien leur redonner l’espoir de jours meilleurs. De cette nudité émane la même souffrance que celle des corps décharnés, noircis et lisses. Les arbres grelottent dès que leur richesse, victime de la dépression ambiante, n’existe que dans les souvenirs.
L’été indien entre dans la ville, se faufile dans les faubourgs et envahit les vastes espaces naturels. La promenade pédestre, de quartier en quartier, permet de suivre cette avance rapide de l’incendie. « La petite Italie » perd de son enthousiasme. Elle préfère le « vert » et le soleil bleu de l’été. Plus question de flâner devant les vitrines vantant les mérites des pizzas, du chianti, d’expressos authentiques ou des pâtes fraiches. Il faut entrer pour retrouver la chaleur de ses vacances. Les terrasses, jonchées d’éclats dorés oubliés par ceux qui les ramassent à la pelle, deviennent inutiles. Piétinées, maculées, dévaluées, les parures mirifiques ne se cachent plus pour mourir. Montréal a étalé ses trésors qui n’étonnent que les visiteurs ignorants. Comme dans toutes les capitales du monde, les gens pressés ne lèvent pas les yeux pour contempler ce qui reste un spectacle époustouflant. Ils filent, comme les feuilles mortes, vers un destin imprécis. A Montréal, les sanglots longs des violons monotones ne bercent pas le cœur de ces gens passant à côté de la fortune qu’ils sont venus chercher et qui parfois les fuit.

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