Le menu indigeste des Restos

Les Restos du cœur ouvriront cette semaine leurs portes pour la 25 ème année consécutive. Plus d’un quart de siècle de solidarité concrète à l’égard des « oubliés » de la vie sociale. Le 26 septembre 1985 Coluche, sur les antennes d’Europe 1, lance l’idée : « J’ai une petite idée comme ça. Si des fois y’a des marques qui sont intéressées pour sponsoriser une cantine gratuite qu’on pourrait commencer par faire à Paris …, nous on est prêts à aider une entreprise comme ça qui ferait un resto qui aurait comme ambition, au départ, de distribuer 2 000 à 3 000 couverts par jour ». Les restos du cœur étaient nés, et plus de 5 000 bénévoles distribuent, cet hiver-là, 8,5 millions de repas… Un nombre qu’il faut rapprocher de ceux de la campagne de l’an passé avec plus de 52 000 bénévoles qui ont accueilli plus de 800 000 personnes et distribué la bagatelle de 100 millions de repas ! Bien plus que les discours de politique générale faits à la tribune de l’Assemblée nationale ou à celle du sénat, cette évolution brute traduit les progrès effectué depuis des années avec le concept de la société du profit. Entre le départ du gouvernement Jospin en 2002 et 2010, période durant laquelle la plupart des femmes et des hommes actuellement au pinacle du pouvoir central ont exercé leur talent, les restos du Cœur ont vu le nombre de repas progresser de plus de 50 % et le nombre de bénéficiaires a augmenté dans les mêmes proportions. Bien entendu, le chœur des vierges qui n’ont rien vu, rien lu, et rien entendu, vantera les mérites réels de cette initiative qui permet d’atténuer les plaies sociales, mais qui ne peut en rien les faire disparaître. Il faut craindre que la saison 2010-2011 batte encore tous les records, même si 12,5 % d’augmentation entre l’an passé et 2008-2009 constitue une progression déjà angoissante.
Tout le monde va se recueillir avec émotion sur le dévouement de ces femmes et de ces hommes qui ne sont que des travailleurs sociaux, exerçant librement une fonction qui devrait revenir à la solidarité républicaine. En effet, avec obstination depuis quelques années, tout ce qui constituait l’égalité face aux aléas de la vie a été méticuleusement démonté, déstructuré, détruit. Sous le fallacieux prétexte de fausse proximité, l’Etat a réussi à détourner sa responsabilité historique vers les collectivités territoriales, les associations ou même le privé, en jouant essentiellement sur l’affectif. C’est la clé désormais de toute action solidaire collective, puisque les structures « officielles » refusent de compenser les écarts considérables des niveaux de vie par une imposition équitable. Au nom du principe dévastateur que « L’Etat ne peut pas tout ! » on assiste à la mise en place d’un système de solidarité totalement aléatoire et inégalitaire financièrement, géographiquement et philosophiquement.
La mutualité, détruite par les règlements européens sur la libre concurrence, abandonne les plus démunis. L’accès aux structures d’accueil à vocation médico-sociale est de plus en plus dépendant des revenus de celle ou celui qui en a besoin. Un ami me racontait samedi qu’il avait visité 23 établissements pour accueillir son épouse totalement dépendante, sans trouver de solution, et dont le coût mensuel allait de 1500 euros à 3500 euros pour des prestations absolument similaires. Que vont faire nos futurs retraités qui n’arriveront jamais au montant d’une pension complète ? Les restos du cœur accueillent de plus en plus de personnes âgées…et notamment de retraités du monde agricole. Ils reçoivent aussi, en Bordelais, des exploitants au RSA ou des salariés occasionnels ne pouvant assumer ni leur loyer, ni leurs charges, ni leurs besoins élémentaires en nourriture. Ils verront dès cette semaine arriver les femmes seules avec enfants, qui se cachent pour aller aux Restos du cœur ou à la Banque alimentaire, par peur que leur progéniture l’apprenne.
Chaque ministre devrait faire un stage, avant de s’installer derrière son fauteuil, dans une antenne des Restos du cœur, et devrait affronter le regard de ces gens qui viennent quérir. Ensuite, en répondant à un(e) député(e) à l’assemblée, il le ferait avec peut-être un peu moins d’arrogance. Bien évidemment, si c’était Brice « Croidefeux », il détecterait bien quelques sans papiers pouvant diminuer les statistiques. Il faudrait aussi y mettre la présidente du Medef, qui trouverait bien le moyen, en sortant, de clamer que les « Restos n’ayant bénéficié que d’une baisse de la TVA à 5,5 %, il n’est pas possible de leur demander de recruter davantage… » Il faut libéraliser, libéraliser, libéraliser sans cesse, pour que la loi de la jungle s’installe sans aucune justice. Réformer, réformer, réformer pour revenir un siècle en arrière, et détruire toutes les conquêtes pouvant renforcer la liberté (est-on un homme libre quand on n’a pas les moyens de manger ou de faire manger les siens ?), la fraternité (sans solidarité économique, culturelle, sociale il n’y a qu’antagonisme, haine et racisme) et l’égalité (personne ne peut affirmer qu’une personne démunie, isolée en zone rurale, a les mêmes secours moraux et matériels que celle qui est en ville).
« Aujourd’hui on n’a plus le droit d’avoir faim ni d’avoir froid ! ». C’était il y a 25 ans. C’est toujours le cas en 2010 et c’est même pire ! Mais dans le fond, ce n’est que la résultante d’un concept politique permanent : « prendre aux moins pauvres pour épargner les plus riches, qui sont sensés donner aux très pauvres pour ne pas payer les impôts qui permettraient de réguler la vie sociale ». Chez ces gens là, on préfère la charité à la solidarité. Elle leur coûte moins cher !

Cet article a 3 commentaires

  1. J.J.

    Au vu du nombre de retraités (des nantis!) qui oeuvrent au bon fonctionement des Restos du Coeur (qui,étant donné la conjoncture actuelle ne sont pas près de fermer par manque de clients), qui va gérer l’affaire, avec la retraite à 65 ans ?

  2. Clause Alain

    oui
    oui
    le monde marche sur la tête
    oui il est insupportable de constater que ce que Coluche a créé ,non seulement existe encore ,mais a de plus en plus d’utilité.Car de plus en plus de famille dans le besoin de simplement manger.
    c’est un désastre dans un pays ou le CAC40 affiche ses bénéfices
    Qui va inverser cette infamie.
    comme tu le dis , c’était en 1985.et aucun gouvernement ni de droite ni de gauche a fait changer cet état de fait désastreux et honteux

  3. J.J.

    Et l’appel de l’abbé Pierre en 1954 ?

    Malgré l’enthousiasme du début, les résultats sont aussi décevants.

    Les gouvernements et les nantis de tous bords ont bien suvi et encouragé l’exemple de solidarité donné par le peuple !

    C’est à en pleurer de rage.

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