Des années de complicité prestement oubliées

C’est fou de constater combien de citoyens gobent, sans trop se préoccuper de la réalité, des annonces médiatiques totalement superficielles. Dans la société actuelle, la très grande majorité des certitudes de l’opinion dominante ne repose que sur les apparences. Si, selon une phrase célèbre, les « faits sont sacrés », ont doit de plus en plus se poser la question de la compréhension des faits. Rares sont ceux qui se décident à aller voir ce qu’il y a derrière la vitrine. Si elle est clinquante, attirante, même si possible horrible, elle a de fortes chances de rester la seule partie de l’information que retiendront les affamés de sensationnel.
Ce système, dans lequel la pédagogie citoyenne est totalement absente, et dans lequel les enseignants peuvent jouer encore un énorme rôle en revenant à leur mission oubliée au travers de ce que l’on appelle encore l’éducation populaire, dans lequel les militants doivent aussi se persuader qu’il ne leur suffit pas de se convaincre entre eux, mais qu’ils doivent chercher à convaincre les autres, devient un véritable cancer pour la démocratie. Tout n’est qu’image fabriquée, et conte mille et une apparences… La raison et l’analyse n’existent plus que dans des cercles fermés, vite classés comme des lieux suspects de partage du savoir politique.
Depuis plusieurs jours on s’indigne (et le mot n’est pas assez fort) sur les fortunes amassées hors de leur pays par des dictateurs jugés respectables, jusqu’au jour où ils ont été virés sans ménagement par leur peuple. Ceux que l’on présente comme les grands « intouchables » de ce monde, puisque, comme ce fut le cas pour Bush et comme c’est le cas, par exemple pour Poutine, Hu Jintao, ou Berlusconi, ils ont le label d’élections démocratiques. Ils peuvent se permettre de s’emparer de la fortune des peuples qu’ils représentent, et accumuler dans d’autres pays que le leur des fortunes colossales, sans que personne ne se pose la question de connaître les complaisances ou les complicités qu’il leur a fallu pour y parvenir. En France il existe, par exemple, un organisme spécialisé qui veille sur les mouvements suspects sur les comptes bancaires ou sur les transactions immobilières véreuses. Tracfin est la cellule française de lutte anti-blanchiment. Elle dépend des ministres de l’Économie,des Finances et de l’Industrie ainsi que du Budget, des Comptes publics, de la Fonction publique et de la Réforme de l’État.
Créée en 1990, à la suite du sommet du G7, Tracfin concourt au développement d’une économie saine, en luttant contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Tracfin est devenu un service à compétence nationale, qui n’a absolument rien vu de suspect, depuis sa création, dans les achats ou placements de la famille Ben Ali sur notre territoire. Aucune société écran détectée… aucune interrogation sur la provenance des fonds placés dans l’immobilier ou traversant les banques françaises pour filer vers d’autres horizons.
Personne n’a posé la question de savoir ce que la France a entrepris depuis trente ans pour empêcher les dictateurs de tous poils d’investir l’argent volé à leur peuple dans des châteaux, des entreprises, des palaces, car dans le fond, ce n’est pas maintenant qu’il faut jouer aux vierges effarouchées. Dans les fleurons du CAC 40, sommes nous certains qu’en grattant un tout petit peu sous le vernis des apparences, on ne trouverait pas facilement des cascades d’actionnaires appartenant au gratin mondial de la « démocratie » ?
Dans tous les pays réputés libres, peut-on faire croire que Moubarak a planqué son immense fortune sans que les gouvernants le sachent ?…que Ben Ali et ses affidés ont pu venir sur la Côte d’Azur ou à Paris faire comme papa et maman MAM, pour réaliser de « bonnes » affaires, sans que ni Bercy, ni Tracfin qui suit au jour le jour les comptes de certains fonctionnaires ou de certains élus locaux, n’ait une idée de l’origine des fonds…
Il est vrai que Bercy ne s’offusque pas quand une Ministre de la République part en jet privé (avantage en nature dissimulé) pour accompagner ses parents désireux de réaliser une opération immobilière dans un pays étranger en pleine crise… au nom de cette sacro-sainte vertu qu’aurait un libéralisme qui, en l’occurrence, ressemble à un ensemble de libéralités. Alors, comment pourrait-on sanctionner les Ben Ali ou les Moubarak et consorts, qui sont simplement venus durant des décennies faire chez nous des visites aussi rentables ? Et le pire, le plus révoltant, c’est que durant le même temps, les affaires continuent… et que chaque jour, en toute impunité, des milliards se déplacent dans des banques où l’on installe le tapis rouge pour leurs porteurs. Tracfin piste des chèques de 1500 euros, et laisse passer des fortunes, en fermant volontairement les yeux, pour ne pas provoquer d’ennuis à de braves dictateurs dont on a, par exemple, besoin pour flamber avec cette catastrophe que fut l’Union de la Méditerranée payée par les contribuables.
Les médias ont dévoilé avec indignation les pactoles cachés par Ben Ali et Moubarak tout autour de la planète, du Brésil aux pays du Golfe, en passant par la Suisse. Notre gouvernement est resté très discret, et Madame Lagarde a d’autres chats à fouetter que de s’exprimer sur le sujet. Après deux décennies de corruption et d’activités financières illicites et impunies, Ben Ali possèderait à peine 5 milliards de dollars (une misère !) et Moubarak entre 30 et 40 milliards, après des vols manifestes dans les caisses de l’Etat, sous couvert de libéralisation économique, faisant qu’en Egypte, 40% de la population vit avec moins de trois dollars par jour ! La moitié de ces montants seraient localisés à l’étranger : comptes bancaires en Suisse, au Royaume-Uni, à Dubaï ; propriétés immobilières en Europe (en France, notamment à Paris et sur la Côte d’Azur) ou encore aux Etats-Unis. Les capitales occidentales, longtemps si complaisantes avec ces deux dictateurs, affirment qu’elles mèneront des actions très fermes afin d’empêcher la fuite des avoirs déposés chez elles et qu’elles auraient gelés.
Seulement voilà , il faut d’abord retrouver la trace de l’argent détourné et placé dans un dédale de sociétés offshore et autres combines inventées par la financiarisation de l’économie mondiale. Des pays africains ont vite abandonné et déchanté, car l’opération est trop chère et trop longue. Les fortunes de Bokassa et autres tyrans africains destitués ne sont pas retournées dans les pays qui les ont réclamées, car personne n’a pu ou su les retrouver. Personne non plus n’avait eu l’idée d’instituer la traçabilité des mouvements de fonds de ces gens là, au nom de la nécessaire solidarité qui doit exister entre gens du G 20, qui ont conclu un accord sur des « indicateurs » préalables à la construction d’un cadre de croissance, « forte, durable et équilibrée ». Ouf ! les dictateurs doivent trembler…

Cette publication a un commentaire

  1. Annie PIETRI

    Tu écris que « les fortunes de Bokassa et autres tyrans africains destitués ne sont pas retournées dans les pays qui les ont réclamées, car personne n’a PU OU SU les retrouver. »J’ajouterais « ou VOULU » les retrouver….Car il faut bien admettre que lorsque ces « potentats » achetaient un « château » comme ce fut le cas de Bokassa en Sologne, où résidaient quasi constamment l’une ou l’autre de ses femmes, et ses enfants venus poursuivre leurs études en France, cela ne pouvait pas passer inaperçu….Et puis, en France, il y a un Cadastre, un service de Conservation des Monuments Historiques, qui ne pouvaient ignorer, ni l’identité, ni la qualité des acquéreurs…sans parler des autres autorités administratives. Et personne ne s’est jamais posé la question de savoir d’où venait l’argent ainsi généreusement dépensé ? Personne dans ces villages – ou ces villes, pas plus que chez les gouvernants – ne s’est étonné que ces roitelets soient à la tête de telles fortunes, alors que les populations de leurs pays crevaient de faim ! Et le devoir de réserve m’interdit de parler de tout ce que j’ai pu constater sur la Côte d’Azur…
    Et j’ai bien peur que nous devions admettre que cela arrangeait bien tout le monde….Les médias étaient silencieux et se gardaient bien d’attirer l’attention des populations sur le caractère anormal, voire inquiétant de ces situations….Mais les politiques, qu’ils soient de droite ou de gauche, ne se sont pas étonnés ou insurgés davantage, participant même par leurs largesses à la prospérité de ces tyrans.
    Alors, ceux qui nous gouvernent actuellement prennent des mines effarouchées, et promettent de bloquer les avoirs, et faire respecter la morale (?)….Ne nous faisons aucune illusion : nous soutenons les peuples révoltés, certes, mais les dictateurs, et surtout ceux qui les entouraient et ont profité avec eux de la misère de leurs peuples ont encore de beaux jours devant eux.

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