L'Etat n'a jamais été aussi castrateur

Le lobbying a de plus en plus sa place dans une société française qui s’américanise. C’est même à se demander si les groupes de pression économiques, idéologiques ou culturels ne sont pas plus efficaces que les partis réputés « politiques. Ce phénomène rend toute action individuelle portée par une collectivité soudée beaucoup plus utile que toute déclaration fracassante effectuée du haut d’une tribune. Le Club des Villes et territoires cyclables (C.V.T.C.°, créé il y a maintenant plus de deux décennies par des villes pionnières, pèse désormais plus de la moitié des régions française, plus des 2/3 de la population et absolument toutes les villes importantes du territoires, auxquelles sont venues se joindre Luxembourg et Namur. Au total près de 1 100 collectivités territoriales de toutes tailles s’évertuent à s’imposer, après avoir développé les infrastructures et les pratiques dévolues au vélo. Il faut avoir une bonne dose de conviction pour tenter de résister à la tentation du tout automobile, beaucoup plus rentable électoralement que l’amélioration des conditions de développement des modes doux de déplacement. J’assume depuis trois ans maintenant la présidence du CVTC et j’ai pris conscience, alors que je n’avais jamais évolué au plan national, que désormais tout n’est que rapport de force. Ainsi, depuis des mois, le club a demandé un rendez-vous au Président de la République pour tenter d’arracher une politique nationale en faveur de l’utilisation de la bicyclette. Peine perdue. Le club s’est tourné vers Jean-Louis Borloo… Impossible. En fait, ce n’est qu’une histoire de rapport de force. Structuré, doté de moyens financiers considérables, le milieu économique des « motorisés » entre où il veut, quand il veut, alors que les autres ne sont considérés que comme des doux rêveurs ou des gentils bobos égarés au royaume de la pédale ! N’importe quel constructeur d’engin motorisé pèse sur les décisions ministérielles, alors que des milliers d’élus locaux doivent supplier pour, au minimum, être entendus.
En tant que représentant des « modes doux de circulation » dont le vélo, j’ai rencontré hier dans son bureau au 17° étage d’un immeuble proche de la Grande arche de la défense, la Déléguée interministérielle à la sécurité routière. Il aura fallu quelques prises de position peu amènes sur l’intérêt porté par cette fonctionnaire d’Etat aux propositions du club, pour que la porte s’ouvre… Une manière de donner la mesure de la considération que portent les hauts fonctionnaires aux élus, quelle que soit leur dimension. Il est vrai que, vu des bureaux du ministère de l’Intérieur dont dépend maintenant la DSCR, Créon n’a aucune importance réelle… et face aux problèmes des deux roues motorisés ou de l’accidentologie automobile, les cyclistes ne représentent qu’un public marginal. Durant plus de 2 heures, il a fallu argumenter, argumenter, démonter des partis pris, se battre contre des images faciles. « Vous n’allez pas me demander, à moi, représentante de l’Etat, de me substituer à la libre gestion de leur collectivité que réclament les élus… » m’assène à de multiples reprises la Déléguée interministérielle, qui vaut au moins un secrétaire d’Etat. Elle ne fait que décliner les positions actuelles de tous les hauts fonctionnaires, et sans le savoir, elle me conforte dans l’idée que l’heure de la revanche a sonné pour leur lobby !
Une longue leçon de morale, sans qu’il soit possible d’intervenir, me permet pèle mêle de vérifier que, sans un rapport de force imposé par la communication, je n’aurais jamais obtenu ce second entretien ! il faut courber l’échine, pédaler contre le vent, et attendre pour recoller dans la roue de celle qui pense avoir définitivement lâché le peloton des élus locaux. Il faut, sujet après sujet, repositionner l’Etat et les collectivités. Une sorte de chassé croisé, illustrant les rapports actuels entre une vision centrale des sujets et les réalités du terrain. Il ne faut jamais renoncer, courtoisement, à défendre « son » territoire !
Le code de la rue, qui se veut le support d’un changement profond des mentalités, attend dans des cartons, au prétexte « qu’il ne faut pas aller trop vite ». Les zones 30 patinent, le doubles sens cyclable pourtant reconnus comme pacificateurs ne sont guère défendus, les expérimentations comme l’autorisation de tourner à droite aux feux tricolores pour les cyclistes quand les automobilistes sont à l’arrêt, la bande d’arrêt anticipée aux passages protégés, les sas vélo aux feux… Rien n’avance dans ce pays des normes, entretenant le mythe que le risque zéro constitue l’objectif suprême de toute administration. Etudes, contre études, rapports, contre rapports, analyses, contre analyses… se succèdent, mais pendant ce temps les pratiques s’imposent dans les rues. Il y a toujours une objection technique, si ce n’est technocratique, pour ne pas agir autrement que dans le sens souhaité par l’Etat. Lentement, le rapport de force s’inverse dans cette sorte de négociation et on avance lentement vers, si ce n’est des solutions, au moins des promesses de recherche de solutions.
Des montagnes à bouger pour quelques tours de roues libres. J’ai brutalement conscience de la dépense d’énergie qu’il faut pour que les grandes déclarations se traduisent en actes. A tous les étages s’empilent des filtres qui peuvent ne laisser sortir qu’un ersatz de l’idée d’origine. Il faudrait des dizaines d’heures pour parler, vrai mais personne n’à le temps. L’usage du vélo a peut-être progressé de quelques « centimètres », mais j’ai repris l’ascenseur aussi épuisé qu’un coureur finissant l’étape des grands cols pyrénéens. La conviction ne fait pas nécessairement l’efficacité. On est de moins en moins cru sur la base de l’originalité, de l’initiative, de l’action, car tout pouvoir ne peut admettre ces principes dangereux qui mettent en cause des rites, des règles, des métiers, des grades. Chacun à sa place de « sachant » pour éviter de dérailler dans les faux plats de principe, ou de pédaler dans la semoule technocratique.

Cet article a 2 commentaires

  1. Annie PIETRI

    Patience ! le club des villes et territoires cyclables finira par obtenir gain de cause. Pense à la fable de La Fontaine « Le lion et le rat » où le fabuliste écrit « on a souvent besoin d’un plus petit que soi » … et « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage »….

  2. Christian Coulais

    Le titre est un peu fort par rapport à la petite reine. Pas de confusion avec l’usage de la selle !
    « N’importe quel constructeur d’engin motorisé pèse sur les décisions ministérielles »
    Pas tout à fait d’accord, les constructeurs de deux-roues français furent abandonnés, une législation inique, entre la limitation de chevaux fiscaux, la mauvaise définition des permis moto, etc. Et le marché asiatique ainsi l’a remporté !
    Le code de la rue se veut progressite, mais comme on peut le voir et l’entendre ces derniers temps, c’est retour vers l’Ancien Régime !
    De plus, les mauvais chiffres des tués en février ne feront que renforcer ce désir sécuritaire du tout répressif !
    Et les vélos n’apportent rien aux caisses du Trésor, ou si peu. Mais les radars eux rapportent bien plus à l’Etat Français.
    Copinage : à réécouter sur France-Inter Jacques Lazmann 4ème partie à 17h00
    http://sites.radiofrance.fr/franceinter/em/conversation-busnel/

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