"Petit crétin va te voir dans une glace"

« Malheureusement l’éducation, telle qu’elle a été donnée, telle qu’elle est donnée encore, est souvent responsable. Où Hitler a-t-il appris le racisme? Et le fanatisme musulman n’est-il pas dangereux? Je pense que si. Une partie de l’Islam est quand même très dur à l’égard de l’Afrique. J’ai bien connu un Kabyle; il fallait voir quel regard il jetait sur les gens d’Alger, qu’il considérait comme des colonisateurs. Les Arabes ont été des colonisateurs, des dominateurs et des marchands d’esclaves. Il ne faut pas croire qu’il suffit d’être antillais pour qu’un autre Antillais vous aime.
Il s’agit de savoir si nous croyons à l’homme et si nous croyons à ce qu’on appelle les droits de l’homme. A liberté, égalité, fraternité, j’ajoute toujours identité. Car, oui, nous y avons droit. C’est notre doctrine à nous, hommes de gauche. Dans les régions d’outre-mer, des situations spéciales ont été imposées. Je crois que l’homme? où qu’il se trouve, a des droits en tant qu’homme. Peu m’importe qui a écrit le texte de la «Déclaration des droits de l’homme»; je m’en fiche, elle existe. Les critiques contre son origine «occidentale» sont simplistes. En quoi cela me gênerait-il ? Il faut s’approprier ce texte et savoir l’interpréter correctement. La France n’a pas colonisé au nom des Droits de l’Homme. On peut toujours raconter n’importe quoi sur ce qui s’est passé: «Regardez dans quel état sont ces malheureux. Ce serait un bienfait de leur apporter la civilisation.» D’ailleurs, les Européens croient à la civilisation, tandis que nous, nous croyons aux civilisations, au pluriel, et aux cultures. Le progrès, avec cette Déclaration, c’est que tous les hommes ont les mêmes droits, simplement parce qu’ils sont des hommes. Et ces droits-là, tu les réclames pour toi et pour l’autre »
Cet extrait d’un plus long texte est d’Aimé Césaire, dont le chef de l’Etat français a vanté les mérites et accueilli dans un Panthéon où il ne rentrera jamais. Quoi que certains Présidents de la République finissent bien à l’Académie française ou au Conseil Constitutionnel, alors qu’ils ont produit une œuvre littéraire pour le moins discutable et eu un comportement qu’aucun « juge » digne de cette fonction ne pourrait se permettre.
Le promoteur de la « karchérisation » des banlieues, le chantre de « la Chartreuse de Parme » œuvre inoubliable, ami de Frédéric Lefevre, le lecteur assidu de « Zadig et Voltaire » a donc rendu hommage à Aimé Césaire, poète, socialiste, rebelle, anticolonialiste et symbole de l’identité noire. Il a effectué cette démarche avec quelques heures de décalage sur les propos tenus par le meilleur Ministre de l’Intérieur que nous ayons jamais eu, sur « l’immigration » et « l’Islam » puisqu’en début de semaine, il avait affirmé que « l’accroissement » du nombre de musulmans en France « et un certain nombre de comportements posent problème ».
Une plaque commémorative et une fresque ont place au Panthéon, non pas pour honorer ces propos, mais pour honorer la mémoire et l’œuvre de celui qui n’a cessé de combattre justement ce comportement méprisant, supérieur, détestable. Heureusement, son corps est resté sur la terre martiniquaise, car il aurait fait plusieurs tours dans le cercueil.
L’hommage a été rendu par Nicolas Sarkozy, l’homme accélérant la fracture sociale et stigmatisant la multiculturalité. Tout ce que détestait Césaire, l’insoumis. C’es comme si Silvio Berlusconi inaugurait un Palais de Justice. Aimé Césaire, l’un des monuments de l’humanisme, méritait beaucoup mieux, et surtout une entrée au Panthéon dans un contexte différent. Comment admettre que dans le même laps de temps, des « collaborateurs » zélés du président se complaisent dans l’ambiguïté de propos fortement teintés de racisme latent et que lui se pare des mannes de l’un des plus grands écrivains de la négritude ? C’est en définitive l’affreux paradoxe de cette France de la séduction qui tourne à l’obsession, de cette France opportuniste qui tourne le dos à la morale. Il ne manquait que Zemmour pour que la fête soit totalement réussie.
« Les Français ont cru à l’universel et, pour eux, il n’y a qu’une seule civilisation: la leur. Nous y avons cru avec eux; mais, dans cette civilisation, on trouve aussi la sauvagerie, la barbarie. Ce clivage est commun à tout le XIXe siècle français. Les Allemands, les Anglais ont compris bien avant les Français que la civilisation, ça n’existe pas. Ce qui existe, ce sont les civilisations. » Encore une fois la France, qui n’a accepté la négritude que comme chair à canon dans les périodes les plus difficiles de son histoire, a mérité d’être reconnue comme le pays de la sincérité et de la loyauté ! Quand dans la même cour où a résonné la voix inoubliable d’André Malraux accueillant les cendres de Jean Moulin, on assiste à ce qui n’aura été qu’une opération de communication récupératrice, il faut avoir une sacrée dose de servilité pour admettre pareil outrage à la mémoire de quelqu’un !
« J’ai toujours été connu comme un rouspéteur. Je n’ai jamais rien accepté purement et simplement. En classe, je n’ai cessé d’être rebelle. Je me souviens d’une scène, à l’école primaire. J’étais assis à côté d’un petit bonhomme, à qui je demandai: «Que lis-tu?» C’était un livre: «Nos ancêtres, les Gaulois, avaient les cheveux blonds et les yeux bleus…» «Petit crétin, lui dis-je, va te voir dans une glace!» Ce n’était pas forcément formulé en termes philosophiques, mais il y a certaines choses que je n’ai jamais acceptées, et je ne les ai subies qu’à contrecœur ». Même mort, Aimé Césaire, avec cette citation, aurait pu demander « au petit bonhomme » qui lisait un discours écrit pas un… nègre, d’arrêter le simulacre avec, aux première loges, cette brochette de Ministres passés par le débat de Copé sur la laïcité, exutoire à sa haine pour celles et ceux qui n’ont pas les mêmes références que lui. « Je ne les ai subies qu’à contrecœur ! » J’espère pour ce bel homme digne, fier et indigné, malmené par le pouvoir colonial, que ce sera la dernière chose que l’on portera sur la page blanche du livre de sa vie. En fin du chapitre, il aurait écrit « petit crétin, vas te voir dans une glace ! »

Cet article a 2 commentaires

  1. Ménière Jean-Marie

    « Avant donc que d’écrire, apprenez à penser » (N. Boileau ~1700), à l’école comme partout ailleurs, à l’art. 1 de la déclaration UNIVERSELLE des droits de l’HOMME (ONU 1948) :

    « TOUS les êtres humains naissent libres et égaux en DIGNITE et en droits. Ils sont doués de RAISON et de CONSCIENCE et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de FRATERNITE. »

  2. Massini Gilles

    Avez-vous lu « Les nouveaux défis de l’éducation » de Michel Serres ? Un vrai bijou !

    « Nos institutions luisent d’un éclat qui ressemble, aujourd’hui, à celui des constellations dont l’astrophysique nous apprit jadis qu’elles étaient mortes déjà depuis longtemps. »

    Michel Serres le 1° mars à l’Institut de France sur le thème « Les nouveaux défis de l’éducation ».

    Intervention disponible sur http://www.institut-de-france.fr/education/serres.html

Laisser un commentaire