Les bleus à l'âme de Jean-Pierre Escalettes

Le 28 juin dernier, Jean-Pierre Escalettes démissionnait de la présidence de la Fédération Française de football après le désastre de l’équipe de France en Afrique du Sud. Il payait essentiellement l’affaire de Knysa. « C’est la première fois depuis un an que je me retrouve aussi près d’un terrain » expliquait avec humour hier celui qui se retrouvait au milieu de la nature sur le stade municipal de Créon pour inaugurer des installations pour le club amateur local. Il est vrai que depuis plusieurs mois, retiré à Andernos, il ressasse cette période honteuse du football français. Visiblement il n’a pas encore digéré ces événements et il en souffre. L’homme dévoué, l’éducateur passionné, l’enseignant dévoué, militant du foot amateur, traîné dans la fange pour ne pas avoir su maîtriser des millionnaires suffisants, empêtrés dans des ego surdimensionnés et des querelles intestines sans rapport avec le football, n’a pas surmonté son échec. Jean-Pierre Escalettes a été oublié. Il appartient à cette kyrielle de personnes, emportées par un tsunami médiatique les empêchant de se raccrocher aux valeurs dans lesquelles ils croyaient. Plus personne ne s’intéresse à lui. Plus aucun micro, plus une caméra, plus un stylo devant lui, puisqu’il n’a plus rien à déclarer sur ces Bleus en marinière jouant le soir même en Biolurussie, pour sauver les apparences. Et pourtant, au fond de lui même, il a des tonnes de déception. Il a fui. Il a replié ses illusions d’éducateur.
L’ex-président de la FFF n’a pas encore totalement surmonté sa déception d’avoir été trompé par ceux à qui il avait fait confiance, comme il l’avait fait comme enseignant, durant des années, à des jeunes. « Je me suis retrouvé brutalement face à un mur infranchissable » explique-t-il. « Tout ce que en quoi je croyais a été bafoué… mais ce n’est pas pour autant qu’il faut renoncer aux valeurs du sport, du vrai, celui que vous portez. Il n’y aurait pas de football professionnel en France sans le formidable creuset des clubs comme le vôtre. »
Secrétaire du club de Ribérac, président du District, président de Ligue régionale, créateur et président de la Ligue nationale du football amateur, pour arriver à la tête de la Fédération… il a vu s’effondrer tout ce en quoi il croyait, par l’attitude irresponsable d’une poignée de néo-riches capricieux et incontrôlables. « Certes, à la tête de la FFF, il fallait faire des compromis et négocier, contrairement aux étages inférieurs, mais globalement j’avais réussi à imposer au monde professionnel de redonner, via le Fonds d’Aide au Football Amateur, le renvoi de l’ascenseur, pour soutenir les Mairies dans leurs investissements. On me l’a reproché au prétexte que ce n’était pas à la Fédération à soutenir les collectivités territoriales, mais que seraient les clubs sans elles ? » Jean-Pierre Escalettes veut toujours croire dans des valeurs que d’autres ne cessent de bafouer au nom du fric.
« Le prisme médiatique donne une piètre image du football et de ceux qui sont au sommet de la pyramide des dirigeants. Et pourtant… ils tentent de sauver les meubles ! J’ai eu au téléphone récemment celui qui devrait être le futur Président de la fédération (NDLR : son ami Fernand Duchaussoy) pour lui redire que si le gouvernement ne voulait pas avancer, il fallait le laisser sur place, et reconnaître un statut de dirigeant bénévole de football à toutes celles et tous ceux qui se dévouent pour la vie de notre sport. Si les pouvoirs publics traînent : il faut y aller seuls ! » L’homme n’a pas totalement perdu sa combativité, mais il ne peut plus que suggérer aux autres les « bonnes » idées, car il a été jeté comme un malpropre pour ne pas avoir su maîtriser des « pieds » gagnant des millions pour de piètres exhibitions, comme ce fut le cas à Minsk. Eux, ils jouissent de l’immunité médiatique… et la seule véritable victime de la mascarade sud-africaine aura été celui qui a préféré tenter de convaincre. Jean-Pierre Escalettes le sait. Il porte encore les cicatrices morales de ce naufrage.
Il revoit des joueurs professionnels, grassement payés, qui décident de ne pas participer à l’entraînement en public prévu à Knysna. Sur l’écran bleu de ses nuits blanches, il revoit ces Bleus prendre un mini-bain de foule avant qu’une altercation éclate entre Patrice Evra et Robert Duverne un peu plus loin sur le terrain. Raymond Domenech, lui même, va séparer le joueur et le préparateur physique. Après un conciliabule de quelques minutes, les joueurs regagnent le bus. Une attitude qui fait sortir de ses gonds Jean-Louis Valentin. Enfermé dans le bus avec ses joueurs pendant de longues minutes, Raymond Domenech se présente devant la presse et lit, de sa propre initiative, une lettre rédigée par un agent des joueurs car eux sont incapables de rédiger un texte de cette nature. Ils y expliquent qu’il ont décidé de boycotter l’entraînement du jour en réaction à l’exclusion de Nicolas Anelka. Ils estiment ne pas avoir reçu le soutien de la FFF et de son Président. Un comble quand on connaît les « trous » que ce dernier bouche depuis des semaines face aux boulets tirés par les médias sur un équipage de branquignols. Le mal est fait… Escalettes paiera l’addition, après avoir été traité comme un « plouc » égaré dans le monde du management.
Il est là, le regard dans le vague, au bord d’un terrain où les gamins lassés des discours sont partis taper inlassablement dans un ballon. Il repasse probablement le film de ces semaines où il a tout vu, tout entendu et où il lui a fallu assumer les erreurs des autres. « Il faut savoir partir pour conserver l’espoir de voir les autres faire mieux, ajoute-t-il avec fatalité. C’est ce que j’ai fait ! ». Les dirigeants, les amoureux du ballon rond présents baissent les yeux. Beaucoup d’entre eux ont avalé tout ce que les médias ont distillé et diffusé. Jean-Pierre Escalettes trouve que l’herbe qui sert de pelouse sur ce stade créonnais est beaucoup plus belle que le tapis de Knysna. Là-bas il a laissé sur le tapis vert une bonne part de son honneur, que lui ont fait perdre les autres. Un an après, il n’est pas guéri, mais la dose d’amitié reçue peut lui permettre de se désintoxiquer. Dans quinze jours, il ira en Dordogne à l’assemblée générale de la Ligue d’Aquitaine de Football. La cure continue… mais la guérison n’est pas encore en vue ! Les bleus à l’âme sont les plus difficiles à soigner !

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