Cette délocalisation me convient très bien

Il faut parfois, dans la vie, s’asseoir sur le bord de la route, le cul dans l’herbe ou sur la rocaille, et regarder, quand on est sur une colline le chemin parcouru depuis l’origine, en bas, dans la vallée du temps. C’est indispensable pour ne jamais perdre le contact avec la réalité, celle qui repose non pas sur l’idée qu’ont les autres de vous, mais celle que l’on a constituée pas après pas avec parfois bien du mal. Il suffit de lever les yeux, en général pas trop haut pour éviter d’être ébloui par le soleil, pour cheminer en créant de fait le sentier, car il n’y a que les héritiers auxquels on réserve l’autoroute.
En apprenant que j’aurais à représenter les 1 100 cités ou territoires français dans un congrès panaméricain des villes heureuses de partager leur vision apaisée des déplacements, il me fallait poser le sac du quotidien, car il me paraissait tout à coup très encombrant. Il me fallait en tirer, au fond, ce que l’on ne regarde jamais : les raisons de l’action, c’est à dire le substrat politique de la vie publique, car tout est « politique ». Comment en Colombie, là-bas, avec un nouveau monde américain du nord réputé beaucoup plus avancé que le nôtre, se contenter de parler des faits sans évoquer les valeurs qui les supportent.
L’avantage de ce genre de « mission », c’est de forcer à justifier cette « prose » de chaque jour que l’on pratique sans le savoir ! En fait dans une société réputée de l’efficacité, on ne prend plus le temps de l’évaluation justificatrice. Dans tous les domaines, les responsabilités ne s’accompagnent pas de l’obligation, pour celles ou ceux qui les exercent, de les inclure dans une théorie acceptable. Travailler sur les modes doux de déplacement ne relève pas uniquement de la « passion » individuelle, d’une logique passéiste ou d’un règlement de comptes anti-motorisation. Et justement à Medellin, la démarche défendue à Créon depuis maintenant 12 ans, va trouver une nouvelle crédibilité. Certes, rien n’est spectaculaire, car la vraie politique ne peut pas être ostentatoire, mais seulement basée sur des ajouts de faits plus ou moins visibles.
En s’arrêtant de cheminer, on est bien obligé, pour aller s’expliquer chez les autres, de rassembler toutes les décisions prises, et de vérifier si elles permettent véritablement de vérifier que le sol n’est pas que pavé de bonnes intentions. Cette halte nécessaire est souvent occultée sous la pression des événements. A tous les niveaux, et notamment le plus élevé, circule en permanence une « vérité » comme sait en confectionner l’opinion dominante : « on n’est jamais réélu sur un bilan ! ». C’est la raison pour laquelle on en fait de moins en moins, se contentant de faire de la cavalerie, en pratiquant la fuite en avant… avec le danger de ne mesurer les conséquences qu’à posteriori. Il arrive aussi que l’on masque une part du chemin parcouru car il a été totalement inutile, et a seulement permis de tromper les gens, qui transforment les effets d’annonce en « performances » acquises.
Aller à Medellin, dans un contexte totalement inédit, face à des élus n’ayant aucun des repères français, sur un sujet abordé différemment aux USA, au Brésil ou au Pérou, constitue un moment extrêmement jubilatoire. En France, le club qui s’époumone à demander des mesures concrètes pour modifier l’approche quotidienne de la mobilité sur des distances courtes ou raisonnables, se heurte à des lobbies arc-boutés sur leurs profits. Ailleurs, comme le développement de la motorisation n’a pas encore atteint notre niveau, il est encore possible d’éviter de revenir en arrière… C’est malheureux à dire, mais avec un salaire moyen de 135 euros par mois soit environ 4 euros par jour, pour celles et ceux qui ont un salaire de ce niveau, la marche à pied, la bicyclette ou les transports en commun surchargés restent des solutions ne pouvant que progresser.
Il ne s’agit pas de modifier ses habitudes mais…de les conforter. Il n’est pas question de renoncer à un signe extérieur de réussite sociale, mais d’éviter de se ruiner pour l’obtenir. Il ne faut en aucune manière démolir ce qui a été présenté comme un progrès quelques décennies auparavant… D’un autre côté, notamment dans la ville comme Portland (USA) le Maire multiplie les initiatives pour faire reculer le déferlement automobile, et la lutte commence à basculer du côté du respect environnemental. Dans ce débat, la spécificité créonnaise repose sur une volonté de redonner des couleurs à une valeur oubliée : la citoyenneté !
Rien ne pourra en effet changer véritablement dans le monde si on ne combat pas les effets pervers et massifs de la « consommation » non choisie mais imposée par le culte du progrès par le profit. En fait, ce rendez-vous sera celui d’un monde émergent qui tente d’éviter les erreurs commises par celui qui est dans la tourmente.
Les déplacements sont à cet égard les révélateurs de cette mutation. Marcher ou faire du vélo, c’est simplement s’intéresser aux autres (moins de pollution, diminution de la facture énergétique, diminution de la facture santé) en améliorant nettement sa propre place dans la vie sociale. Dans bien des pays, ils n’en ont pas logiquement conscience, puisqu’ils ne connaissent pas les erreurs que nous ne parvenons pas à corriger ou que nous ne corrigerons que quand il sera trop tard. Pas de leçons cependant à leur donner, car ils avancent bien plus vite que nous, ils imaginent plus que nous, ils agissent plus que nous et ils dépensent bien moins que nous, avec un seul souci : être efficaces. Ils n’ont pas le choix !
Je vais donc là-bas, à 12 heures d’avion, pour apprendre, encore et toujours appendre, car sur le chemin de la vie, on s’ennuie ferme quand on n’a plus envie d’apprendre des autres ! J’ai vraiment hâte d’aller vérifier que la citoyenneté est une « fleur » cultivée dans tous les jardins du monde… et que je peux encore et toujours en espérer une récolte en 2012. Chez nous…

Cette publication a un commentaire

  1. Nadine Stalker

    Quel beau texte! Je tiens à vous féliciter d’être le porte-parole, le représentant des slowtowns de l’Europe!!!
    Mais mon esprit cynique ne peut s’empêcher de rigoler un bon coup…
    « Les effets pervers et massifs de la « consommation » non choisie mais imposée par le culte du progrès et par le profit. » Bien souvent, ces personnes sont sous l’effet d’une drogue puissante qui rend invincible, pas faim, pas soif, pas sommeil, pas de sentiments, ni pitié ni remords: la coke! Tout l’inverse d’une vie douce tournée vers les autres…
    Quelle est la patrie Mondiale de la coke, déjà ????? lol
    Faites attention à vous, pas toujours bien fréquentée cette ville, évitez les ballades du soir ou les petites ruelles…

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