Bogota, le repère des guêpes jaunes envahissantes

Un immense nid de guêpes posé au milieu d’une nature luxuriante est collé à une chaîne de montagnes, de vert sombre vêtue. Il s’en dégage un bruit lancinant, naissant d’un mouvement perpétuel, accéléré et oppressant, « d’insectes » jaunes qui ne cessent d’aller et venir dans les artères de cette construction hétéroclite. Bogota, immense conurbation de plus de 7 millions de personnes, vit dès l’aube au rythme infernal de ses taxis.
De petites Honda absolument identiques, porteuses des raies noires d’une identification similaire, sillonnent à des allures folles cette capitale, soumise à la pression de l’automobile. Les chauffeurs se prennent pour des pilotes de F1 égarés dans le monde réel. Virtuoses de l’esquive et de l’entourloupe, ils piquent d’un côté, volent de l’autre, freinent au dernier moment, donnant aux passagers qui leur font confiance, le sentiment qu’il est en recherche permanente du chemin le plus rapide.
Des flèches jaunes citron arborent un label « service public » qu’ils se sont accordés, pour démontrer le caractère indispensable de leur présence dans la vie agitée de la cité. Ils saisissent au vol des clientes, pas forcément aussi pressées que les conducteurs, et les ayant arrêté d’un simple geste de la main, sous les klaxons des autres stakhanovistes du transport. La vitesse est illusoire et se dégage davantage de la manière de progresser que de la puissance des moteurs.
De gros « bourdons » accentuent l’intensité de cette frénésie collective. Des autocars bariolés à la face menaçante, frelons agressifs, accentuent l’insécurité ambiante. Tout ce monde ouvre le tombeau des piétons minuscules, soucieux de briser l’allure démentielle de ces flux, pour tenter la traversée impossible. Aucune protection réelle, dans cette ville où la violence reste un fléau permanent. Elle s’exhale des « tripes » étroites et délabrées et des « artères » flamboyantes pour envahir l’air ambiant. Des moustiques motorisés de plus en plus envahissants accentuent cette masse qui gaze de tous côtés !
Les yeux du visiteur, happé par cette agitation angoissante, se mettent à piquer avant de se laisser aller à quelques larmes. L’air raréfié en altitude est remplacé par une insidieuse pollution qui saisit immédiatement l’étranger peu habitué à ces deux paramètres. Bogota risque en permanence un collapsus découlant de cette samba endiablée incessante de centaines de milliers de véhicules. Bogota est visiblement malade de ses déplacements, mais elle sera probablement incapable de maîtriser cette gangrène qui ronge son cadre de vie, quand des millions de personnes ne cherchent qu’à survivre.
Au cœur d’une ville balafrée par des couloirs de bus, une vaste place colonisée par les pigeons, rassemble les symboles de cette Colombie, masquant difficilement ses différences sociales. La cathédrale, pour la religiosité ambiante, occupe un côté du rectangle gris sur lequel déambulent des marchands, à la recherche de quelques pesos par des ventes immuables sur les lieux touristiques. L’un y fait brouter des peaux de bananes par un lama destiné aux clichés couleur locale. L’autre vend des grains de maïs, destinés à rassasier des volatiles envahissants. Face à un édifice religieux aux façades banales, l’hôtel de ville, bientôt occupé dès le 1er janvier par Gustavo Petro, nouveau maire élu, alors qu’il a été membre pendant plus de dix ans du groupe armé d’extrême gauche M-19, impliqué dans l’un des épisodes les plus sanglants de l’histoire récente colombienne, lorsque 40 de ses membres ont pris d’assaut, le 6 novembre 1985, le Palais de justice qui est installé sur la largeur de la Place, face au parlement. Heureusement que durant cet épisode sanglant de la vie de Bogota, Gustavo Petro était en… prison. Il aura finalement subi un sort moins radical qu’Alfonso Cano, le patron des FARC, toujours retranché dans les forêts du pays, tué par l’armée toujours présente dans la vie sociale.
Elle est plus discrète, remplacée partout pas des milliers de gardiens de services privés, armés parfois jusqu’aux dents, qui assurent la sécurité des immeubles d’habitation, comme des commerces, et de tout ce qui peut avoir besoin d’une protection contre les appétits des bandes armées, ou des envieux des « barios », repoussés aux confins sud de l’agglomération.
Bogota masque cette misère réelle en évitant à bon nombre de précaires, évoluant sur le fil du rasoir du minimum vital, de sombrer dans le sort détestable des « entassés » de poblacions ou des favelas des pays voisins, en les autorisant à vendre sur les trottoirs. Des centaines de caddies reconvertis habilement en vitrines ambulantes proposent aux carrefours une diversité de services ordinaires, allant du café en thermos aux omelettes goûteuses, en passant par les rafraîchissements colorés à base de jus de fruits, ou les poches de chips ou autres nourritures préfabriquées. Les vendeurs de rue dénotent simplement les écarts sociaux. Présents dès l’aube, ces ambulants glanent à la sauvette les fonds nécessaires à leur survie. Ils rivalisent d’imagination, pratiquant la location à la minute de portables suspendus en batterie à des chaînes que tenus en laisse individuellement. Partout la débrouille recèle la puissance imaginative des peuples, contraints à assumer leur quotidien.
Bogota s’affiche comme une ville luxuriante, bruyante, grouillante, dont personne ne semble véritablement maîtriser le destin. On entasse tout sur tout. On creuse des espaces pour le Transmilenio, système de bus en site propre. Sur les contreforts des Andes poussent des immeubles ostentatoires, repliés sur la fortune de leurs occupants. Bogota entre dans la démesure urbaine, ressemblant à ces ballons de baudruche qui enflent, qui enflent, qui enflent et finissent leur vie dans une explosion incontrôlée.

Cet article a 2 commentaires

  1. Christian

    ¿Me podrá avisar cuando hayamos llegado à Creon?

    Quid de la « bicicleta en Bogota » ? Bon retour à la bastide.

  2. batistin

    La jungle, la vrai, celle que sait (ou savait) offrir la nature, a ceci d’agréable, c’est la beauté des espèces végétales et animales y survivant.
    La jungle qu’invente l’homme a elle ceci de particulier c’est que le bruit, l’odeur et la laideur y sont portés au paroxysme.
    Et dans nos mondes, pour couronner le tout, à l’inverse du roi tigre des forêts, nos « dominants » ne sont jamais rassasiés d’accumuler.
    Si vous croiser le chemin d’un riche être humain, vous qui n’ayant rien, vous vous offrez le luxe d’une saine contemplation assis sur un banc en plein milieu de l’après midi, méfiez vous . Il est bien foutu de vous piquer le banc, jaloux de votre temps.

    Et puis la cocaïne, chère à nos présentateurs de télévision, et d’autres, étant à ce que l’on sait une source de revenu inépuisable, l’ambiance générale ne doit pas porter le tigre de Bogota au calme du repus. D’autant moins que les polices spécialisées américaines du nord, et européennes, et mondiales d’ailleurs, sont chargées, non pas de combattre ce « fléau », mais plus prosaïquement de le réguler. Ce qui fait, si l’on y réfléchit une énorme différence. Tout marché, même non coté officiellement en bourse, ne saurait échapper à nos chers banquiers. L’argent n’est sale que si l’on se fait prendre la main dans la machine à laver, le nez dans la poudre. Mais si mais si monsieur l’agent, cette poudre blanche je croyais que c’était de la lessive…
    A ce propos, et pour soutenir monsieur Delarue dans son combat contre l’addiction, je vais donner ici la recette de la cocaïne:
    vous prenez de la coca, plante mâchée depuis des lustres par les amérindiens pour stimuler leur envie de travailler dans des conditions dont la CGT n’a même pas entendu parler, -vous trouvez quelques grande bassines ou creusez un trou dans la terre .
    -vous remplissez, bien tassées, avec des feuilles de coca, plante ancestrale, seul revenu obligatoire du paysan colombien esclave
    -vous couvrez le tout avec de la chaux, oui de la chaux bien blanche et pas trop vive
    – vous obtenez ainsi une pâte blanche et solide
    -ensuite, avec du kérosène ou un quelconque liquide pétrolifère, vous mouiller la pâte obtenu pour la filtrer ensuite dans un tamis
    -le résultat du tamisage est à laisser sécher
    -vous obtenez alors de gros cailloux de coke, vendu tel quel ou écrasés en poudre pour tous ceux De la rue.

    Il ne reste plus qu’à trouver quelques jeunes dévoués, sans autre avenir et morts de faim pour livrer « a bicyclette ».
    Mineurs et sans permis de conduire, en France, ils ne risquent pas de poursuites, en tout cas pas les même que les adultes.
    Ce qui explique pourquoi, certains fous parmi nos dirigeants, veulent déceler dès la maternelle les petits futurs byciclétistes.
    A mon avis, ces mecs marchent à la coke et veulent reprendre le marché !

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