Toutes les réformes doivent jouer au passe-muraille !

L’avantage de participer à des commissions ou des « ateliers » nationaux sur des sujets concrets (le sport, le vélo, les déchets ou les associations) c’est que l’on découvre les réalités de la gouvernance de ce paquebot France… dont on pense généralement qu’il est piloté par un capitaine et un équipage. Rien n’est moins sûr. Rien n’est plus inquiétant. En fait, il suffit de se frotter comme élu aux comportements sociaux pour s’enfoncer dans la dépression. Ce matin je participais (Maires de France) avec Alexis Bachelay (député) et Françoise Cartron (sénatrice) à l’une des réunions d’élaboration du « plan national de développement du vélo ! », devant évoquer les mesures concrètes à prendre en faveur des mobilités actives. Nous étions 3… au milieu d’une trentaine d’autres personnes issues du monde associatif et surtout des ministères (chargés de mission, coordonnateurs, directeurs de services, techniciens…). Ce n’est que l’illustration parfaite de la place faite aux élus dans le fonctionnement de la République : faible, anecdotique et aléatoire. Alors qu’ils détiennent de fait le droit politique de faire avancer des dossiers, ils ne jouent qu’un rôle minoritaire. Ils devront rendre compte à la population de leur travail, de leurs résultats, de leurs projets, alors que tous les autres n’ont absolument aucune responsabilité démocratique. Il leur faut admettre que le débat nécessite qu’ils écoutent et qu’ils se plient aux « conseils » avisés, soit de celles et ceux qui souhaitent aller plus vite qu’eux, soit surtout de celles et ceux qui passent leur temps à leur expliquer que rien n’est possible pour des raisons techniques.
D’entrée, je pose la question qui fâche : « Peut-on envisager la rédaction, la mise en œuvre et la communication autour d’un code de la rue, plutôt que de rester arc-bouté sur un code de la route datant de 1920 et replâtré au fil des ans ? » La réponse à cette interrogation conditionne en effet la vraie prise en compte des piétons, des cyclistes et des personnes à mobilité réduite dans le partage de l’espace public. Inutile de travailler sur un texte fondateur d’une nouvelle approche de la mobilité si on continue à tourner autour de l’automobile sans oser y toucher sous prétexte que c’est sensible. Inutile de changer des alinéas d’un code sans que l’on influe réellement sur des comportements et si on ne favorise pas la prise de conscience des changements sociaux ! Inutile de passer du temps à disserter sur des mesures techniques forcément controversées. Rapidement donc la réponse vient : « Impossible de toucher à la bible des déplacements ! Elle vient des fonctionnaires présents, qui ne cherchent surtout pas à soutenir les initiatives des élus, mais à les brider, à les éluder, à les combattre, afin de maintenir leur pouvoir et plus encore à maintenir un système sclérosé et obsolète dans lequel toute réforme « politique » est interdite. Il faut batailler durant une demi-heure pour que du bout des lèvres (et avec l’arrière-pensée que tout sera fait pour que ce ne soit pas possible), le représentant de la sous-direction à la réglementation de la Direction de la Sécurité Routière accepte d’envisager le changement du nom de « Code de la route » en « code de la rue et de la route) afin de prendre en compte les évolutions constatées. « Il faudra dix ans… C’est extrêmement compliqué… il faudra consulter… et étudier les conséquences…» Bref, je ne serai plus président du Club des Villes et Territoires cyclables que l’on n’aura pas avancé d’un mot ! Une volonté « politique » se heurte et rebondit sur le mur de l’inertie administrative. Chaque fois qu’une proposition est avancée, les Ministères ou les techniciens soulèvent des obstacles de tous ordres. Pourtant ancrés sur le terrain, ayant investi avec passion dans les mobilités actives, ayant souvent inventé en marge des textes réglementaires, les élus apparaissent comme de doux dingues qui veulent que les choses simples avancent vite et que des signes forts soient donnés à une population qui ne croit plus (logiquement) en leur rôle. Deux heures après, on a eu le choix d’approuver les propositions des techniciens qui ne sont que d’un intérêt limité car pas vendables en terme de communication dès lors qu’elles transformeront un 50 en un 30, un stationnement « gênant » en un stationnement « dangereux », la signalisation aérienne en signalisation au sol et soulèveront bien évidemment plus d’oppositions que d’approbations. Et alors, on se retournera vers les élus, incapables de prendre les bonnes décisions et de les assumer.
Le vrai problème, c’est que cet exemple se renouvelle chaque jour davantage. La résistance au changement n’est pas le fait de corporatismes sociaux déjà très forts, mais à l’intérieur même du système administratif engoncé dans des normes, des textes, des décrets, des lois empilés depuis des décennies et qui ne servent qu’à empêcher les réformes !

Cet article a 8 commentaires

  1. Tiss

    Cher mr le maire bravo , vous dénoncer un système , qu’il soit dit et redit haut et fort pour être…entendu?

  2. J.J.

    Et il y a longtemps que ça dure !

    Par expérience, j’ai remarqué que le point de vue des usagers, des utilisateurs, bref des concernés au premier chef, au plus près des besoins, est celui qui passe vraiment en dernier, quand les décisions sont prises et qu’il ne reste plus grande chance d’ ajouter ou modifier un point quelconque.

    Et cela dans la meilleure hypothèse, car, parfois, recevant le compte rendu final, on s’aperçoit que les décisions prises sont entièrement différentes de celles qui avaient été décidées…..

  3. SANZ

    Cher Monsieur Darmian,
    Pour ma part, vous donnez un visage à ce qui est désigné sous le vocable de lobbying. Quelle légitimité ont ces personnes issues du monde associatif et de celui des ministères et surtout quelle légitimité ont-elles de plus vis-à-vis des élus que vous, avec deux autres personnes (1 député et 1 sénatrice) représentez, et, qui plus est, représentez légalement ?
    Loin de moi l’idée d’éloigner les acteurs tels que les associations et les techniciens des ministères qui font partie de fait de la société civile (au sens large et j’ai peur que ma formulation soit maladroite mais tant pis et je vous prie par avance de m’en excuser) : il vaut mieux certainement faire part, à eux et avec eux, de choses élémentaires et/ou nouvelles qui doivent effectivement rayonner. Mais que chacun garde sa place ! Et c’est malheureusement ce que peu de personnes (parmi le milieu associatif comme le milieu administratif) savent aujourd’hui prendre en considération et j’ajouterais que peu de personnes savent même à ce jour analyser, au vu de la confusion des genres qui règne et qui est devenue – et je le déplore -, la règle.
    Je retiens autre chose de votre billet : cette « question qui fâche » dîtes-vous à savoir : « Peut-on envisager la rédaction, la mise en œuvre et la communication (…) » sur le thème d’un code de la rue ou pour le dire autrement, d’un espace public moins routier et plus piétonnier qui invente une nouvelle forme de vivre ensemble et je retiens surtout de cette initiative que cela passe par l’écrit, par la rédaction, afin de donner une base juridique.
    Bien amicalement
    Noëlle SANZ

  4. François

    Bonjour !
    Pauvre pré-retraité ! Enfin, tu découvres ce qu’un de tes blogueurs (euses) avait si bien décrit il y a un an  » On peut changer la couleur des pantins mais, malheureusement, on ne touche pas aux marionnettistes !  » Donc, tu nous confirmes que ces derniers, « résidus mal placés (politiquement) » de l’ENA, Sciences Po et autres sont bien plus nombreux que les premiers et qu’ils occupent la salle des machines du paquebot ! Nous prenons acte.
    Et oui ! C’est cela le mille-feuille administratif … auquel,VOUS TOUS, élus de toutes couleurs, participez avec dévotion en alimentant les épais dossiers paperasses conditionnant tel ou tel projet ! A ta décharge, je dirai ( ton feuillet en est encore la preuve !) que ces méthodes sont trop ancrées dans nos mœurs, occasionnant ainsi des traces profondes que plusieurs quinquennats ne pourront effacer sauf si…. mais cela induit de la casse humaine plus grave ! !
    Par contre, je suis assez surpris que, toi, ancien professeur des écoles donc fonctionnaire puisse frapper aussi vigoureusement contre ta corporation : « fonctionnaires présents qui ne cherchent surtout pas… » ,  » inertie administrative « , » Ministères et techniciens soulèvent des obstacles de tous ordres ( j’ajouterai « souvent ridicules » ! ). Comme, au travers de tes diverses chroniques, il en est de même vis à vis de tes ex-collègues journalistes, cela laisserait-il entendre que les métiers ont changé à un point tel ! ? ? Une explication serait la bienvenue !
    Avec mon amitié.
    Cordialement.

    1. Jean-Marie Darmian

      je ne suis en effet qu’un pauvre ex-fonctionnaire retraité qui ne se reconnaît plus dans la fonction publique actuelle… pas plus qu’il s’identifie aux journalistes actuels. Je suis déçu de constater chaque jour que la volonté politique de changement ne peut en réalité être mise en œuvre dans un système verrouillé pas uniquement par la haute fonction publique mais par les corps constitués socialement qui sont en général contre tout et pour tout ce qui est contre.

  5. François

    Merci J-M !
    Excellente réponse qui ouvre le champ des combats à venir pour le bien-être du citoyen car c’est bien dans la « salle des machines » que se situe le nœud du problème !
    Nous accordons un honnête 18/20 ! ! !
    Amicalement.

  6. Bonjour,

    Au final, on ne peut qu’être étonné du naufrage total de la réforme bancaire française, après la pire crise financière depuis près d’un siècle – et ce malgré les voix de plus en plus nombreuses, de tous bords, qui en appellent à une réforme simple et radicale pour sécuriser notre système bancaire : la scission.

    On l’est finalement moins quand on prend conscience de la porosité entre la Haute Administration du ministère des Finances et les Directions des grandes banques françaises.
    Ainsi, le nombre d’énarques dans les 4 mégabanques ( Françaises) est supérieur à celui de toute la promotion 2012 (77 énarques).

    Plus de 300 énarques exerçaient en 2012 dans le secteur financier, soit bien plus que dans n’importe quel ministère…

    http://www.les-crises.fr/enarchie-bancaire/

    « Le poisson pourrit toujours par la tête. »

    citation attribuée à Mao Tsé Toung (ou Mao Zedong)

    bonne journée

  7. gold price

    «Elle exerce trop de compétences dans trop de domaines où elle n’a rien à faire, rien à dire, rien à apporter. L’Europe qui s’élargit doit réduire ses compétences», a-t-il affirmé.

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