L'usage de l'arme des images nécessite des tireurs d'élite

1690319_10203053036263800_1024641552_nInvité de France Libertés Robert Roussel a parcouru le monde avec une caméra sur l’épaule, une sorte de compagne de vie dont il n’a jamais pu vraiment se séparer. Journaliste reporter d’images (comme on dit maintenant) alors qu’il n’était, à ses débuts, qu’un cameraman ce qui ne changeait rien à son métier. Il a proposé une conférence autour du thème des reportages de guerre. Jamais peut-être cette approche de l’information n’a été autant primordiale tellement l’impact des images rapportées par un professionnel d’un conflit devient décisif pour l’appréciation planétaire. La multiplication des chaînes de télévision diffusant en boucle des scènes de guerre avec des commentaires réputés avisés de spécialistes présents sur le « plateau de la vérité  révélée », oriente forcément l’opinion dominante.

Grand reporter à France Télévisions depuis une trentaine d’années, Robert Roussel a parfaitement témoigné de ce qui depuis plus d’un siècle permet aux lecteurs, aux auditeurs ou aux téléspectateurs de connaître les rudes réalités de confrontations armées éloignées. Il y eut ces dessins épiques ou hyper réalistes que les graveurs fournissaient à ce grand journal portant déjà le nom idéal de « L’illustration ».dont les 180 000 pages recèlent des dessins superbement précis avant qu’apparaisse la photographie. Albert Londres a fait à son tour frémir ou a enchanté des millions de passionnés de l’actualité lointaine. Il débuta comme correspondant militaire pour le journal au Ministère de la Guerre. Correspondant de guerre par la suite, il est envoyé à Reims lors du bombardement de la ville, aux côtés du photographe Moreau. Le premier grand article de ce téméraire observateur narre l’incendie de la cathédrale le 19 septembre 1914 ; il sera publié deux jours après. En fait ces premiers « armes » de celui qui restera dans l’histoire comme le fondateur du « grand reportage » recèlent toute l’ambiguïté de ce métier angoissant que Robert Roussel a décrit avec modestie et sincérité : exploité pour l’événement ou exploiteur de l’événement ? Durant des années (et c’est le cas encore!) les journalistes ont en effet été « utilisés » comme des vecteurs de vérités préfabriquées (guerre 14-18 ou encore plus dramatique les actualités de Himmler) durant de nombreux conflits. « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ! » a écrit Albert Londres et c’est encore plus vrai avec les images !.

Malgré l’immense respect que j’ai pour lui, Robert Roussel a parlé d’une époque (les années 80) durant lesquelles les armées laissaient les preneurs d’images libres de leurs choix (séquence sur le Liban). Désormais on est entré dans un tout autre contexte avec des images toutes prêtes fournies par les services d’information (voir la récente intervention au Mali!) car le « journaliste » est devenu suspect et dangereux. Pire le reporter constitue une proie de choix pour les terroristes ou les militaires et donc il faut l’encadrer, le protéger et même le diriger ! On n’aima pas trop le voir sur le terrain !

Seuls les intransigeants de l’info tentent encore d’aller au cœur de la Syrie en guerre pour ramener des clichés ou des films bruts tellement horribles que personne ne les « achètent ». Les « pigistes » courent le risque, les autres sont bridés par leur rédaction. Albert Londres, Ernest Hemingway ont joué avec leur vie, les 4 reporters encore retenus en otages dans la Syrie dévastée aussi ! Ils sont cependant les victimes d’une nouvelle donne : un conflit sans images perd de son importance mondiale et il faut à tous prix couper cette diffusion dévastatrice pour l’image d’une armée ou de rebelles. En fait les camps en présence ne souhaitent jamais l’œil indiscret d’une caméra ou d’un appareil photo alors qu’un micro ou un Bic agile ne les préoccupent jamais. Selon que l’on laisse entrer (et dans quelles conditions) ou que l’on éloigne les journalistes susceptibles de rapporter des images on oriente forcément la fameuse « communication » confinant souvent à la propagande !

A travers les pseudo-reportages diffusés sur les réseaux sociaux on se rend compte que « l’extrême », « l’horreur », le « terrifiant » prennent le pas sur « l’information » réaliste ou dictée par une éthique professionnelle. Le mal a fini par tuer, selon moi, le grand reportage qui paraît suspect quand il ne renforce pas les certitudes établies ou suggérées sur une guerre : les bons et les méchants sont identifiables et identifiés.Grâce aux images ramenées de Sarajevo on a justement respiré la sale guerre des snipers sournois, féroces, implacables… qui traquent l’objectif du cameraman, démontrant ainsi cette volonté permanente des fascistes de refuser le droit à l’information ! Rien à voir avec le génocide du Rwanda ! L’exercice consistant à comparer les rushs ramenés du camp des réfugiés sur la mort omniprésente, sur cet « enfant sourire » que les soldats lavent ou sur le « tri » au portail de ce camp concentrationnaire entre les malades du choléra et les blessés, donnaient une idée exacte de la difficulté de cette profession où ils ne faut pas être froid et indifférent pas plus que affectif et complaisant. Un équilibre exigeant entre le témoignage réputé objectif et la vision affective d’une situation humainement désespérante. Le choix dans l’œilleton d’une caméra faisant partie intégrante de votre corps et de votre esprit prend alors une vraie signification et toute sa difficulté. « Oui j’ai été un témoin de ce que l’on appellera un jour l’Histoire » a répondu Robert Roussel en avouant qu’il oscillait entre le « besoin d’oublier » et « l’obligation de se souvenir ». Un beau moment d’éducation citoyenne !

Cette publication a un commentaire

  1. ROUSSEL Robert

    Merci cher Monsieur DARMIAN de la profondeur de votre analyse qui complète si bien mon intervention. Vous situez précisément la place ambiguë du journaliste dans des situations de crise ou il est parfois amené à mettre en jeu sa vie. J’ai appris avec quel courage vous avez défendu votre périmètre de vie et vous en félicite.
    Je garde précieusement l’hommage porté à ma modeste prestation et vous en remercie à nouveau. Robert ROUSSEL

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