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La libération du confinement volontaire

Hier j’évoquais les amorces positives de changement de société qu’a fait émerger la crise sanitaire. Faute de capacité à innover, à repenser, à restructurer, à révolutionner les espoirs d’un monde d’après s’effondrera encore plus vite que celui que nous connaissons. Permettez moi de la jouer « perso » et de vous avouer que pour moi la période actuelle est une vraie découverte. Dans le fond les mesures prises et que je songerai pas à critiquer m’ont permis une prise de conscience de la vanité de la fonction élective. 

J’ai été heureux durant près de 50 ans d’action syndicale, mutualiste, politique intensive, sans retenue avec des expériences professionnelles diverses tout aussi prenantes. Inutile de se voiler la face j’ai aussi fait preuve de beaucoup d’égoïsme pour « servir » les autres avant de « servir » les miens. J’ai brutalement conscience que je n’ai pas vu évoluer ma famille même si j’ai eu la chance d’avoir toujours un bloc soudé consentant. Si l’on ne fait pas attention la vie publique devient une redoutable addiction et on perd tout sens des réalités.

Je n’ai pas vu évoluer mes proches, les laissant souvent partir seuls en vacances, ne prenant souvent que deux à trois repas hebdomadaires avec eux et encore en vitesse, m’absentant au nom des engagements pris. Cette habitude m’est restée et j’ai toujours fini le premier à table alors que les convives eux, prennent leur temps. Le pire c’est que je ne m’en suis jamais rendu compte et que je ne mesure que depuis peu les conséquences de ces modalités de vie.

Prendre le temps de partager à son épouse, ses enfants, ses parents et le reste de ceux que tout Italien devrait respecter et aimer n’a pas un seul instant effleuré mon esprit. Un jour de repas des personnes âgées de Créon, devant l’assistance médusée ma mère avait lâché : « même le jour de mon enterrement il n’y sera pas car il aura une réunion importante ! » Toute la salle s’était bien amusée mais moi beaucoup moins. Elle est décédée et j’étais à ses obsèques. Elle avait pourtant raison.

Le pire c’est que l’exercice d’une fonction élective quelle qu’elle soit, engage à l’insu de leur plein gré les gens qui vous aiment. Ils abandonnent « leur part de vous » pour vous laisser libre d’agir salors que vous les mettez moralement en danger. Les conflits, les erreurs, les échecs retombent indirectement sur eux ternissant souvent l’image qu’ils ont de vous et les plaçant en difficulté.  Vos propres ami.e.s que vous pensiez indéfectibles vous abandonnent, vous boudent, vous lâchent et vous vous retrouvez bien seul.e.s dans la foule des autres qui vous en demandent toujours plus.

La responsabilité individuelle des actes publics génère  des risques à votre entourage qui souvent n’en n’a pas conscience. J’ai tellement envie que ça cesse et que je ne sois plus un coupable qui s’ignore ou un suspect potentiel. Être en paix et anonyme ce qui ne m’est jamais arrive depuis 50 ans. Alors la pandémie m’a ouvert les yeux. Le confinement m’a procuré des plages temporelles inédites et la nécessité de les meubler.

J’ai appris par exemple à regarder vivre mon épouse que je ne n’avais dans le fond jamais vu évoluer dans son quotidien. C’est honteux de l’écrire mais après plus de 50 ans j’ai éprouvé le sentiment de n’avoir eu que peu de vie commune avec elle. Je m’installe aussi dans le confort du temps non compté et je profite de sa présence du réveil au coucher. Il est fort probable que cette situation en étonnera plus d’un et que seul.le.s les sur-actifs peuvent saisir.

Savoir quand on se penche sur un sujet banal qu’il n’y aura pas d’interruption pour filer vers une rendez-vous ou une réunion devient parfois angoissant car on n’imagine pas que ce soit possible. Le temps s’emploie mais ne se gaspille pas !  Redécouvrir ses passions et surtout pouvoir les exercer au gré de son humeur appartiennent à un nouveau monde. Ne plus avoir la pression constitue par ailleurs la base du bonheur. Dans le fond j’ai décrété depuis plusieurs mois le « couvre-feu » de l’activité forcée et je ne pense pas revenir en arrière. La pandémie m’a permis peu à peu de me construire une bulle confortable qui préserve de l’influence extérieure. Elle me permet de choisir et de me réfugier derrièreses contraintes.  

Le paradoxe c’est que maintenant que j’aimerais tant partager avec celles et ceux que j’apprécie, la crise sanitaire qui d’un coté me permet de l’espérer, m’en empêche ! Pas grave . Se replier dans sa coquille, s’y sentir bien au chaud, ne se préoccuper que de sa proximité, regarder le monde, devenir maître de son temps, apprendre à ne rien faire et à ne pas voir à en rendre compte à quiconque, regarder les autres s’agiter, participer à des moments dont l’importance vous échappez, lire ce que bon vous semble, vous pencher sur vos passions, relativiser les emmerdements et s’intéresser qu’à ceux qui en valent la peine  : autant de trouvailles du confinement qui vous rendent heureux et plus actif.  Vivement qu’il disparaisse et que je continue sur ma lancée. 

Cet article a 3 commentaires

  1. J.J.

    Il n’est jamais trop tard pour découvrir la sage notion épicurienne, au sens noble et premier du terme (et non la connotation péjorative donnée par les bigots) : savoir se satisfaire de ce que l’on a. « Carpe diem ».

    Illustration de l’adage : d’un mal sort toujours un bien.

  2. Laure Garralaga Lataste

    Cher Jean-Marie, bienvenu au club…
    Dans ta description d’une vie d’élu, je relève : « …vos propres ami.e.s que vous pensiez indéfectibles vous lâchent… ». Une question : « étaient-ils vraiment des ami.e.s ? »
    Lorsque j’ai quitté « ce monde de brutes », j’ai eu la chance de vivre la période heureuse de l’écriture. Ta chance à toi ? Avoir pris le temps, pendant ton mandat d’élu, de faire confiance à cette solide et fidèle amie l’écriture. Avec « 9 vies d’Ezio », tu as transmis son Histoire à ta famille .

  3. GRENE CHRISTIAN

    Tu dis « 50 ans »? Tu te souviens? Les terrains de football d’abord, la caserne ensuite et le journal enfin! J’ai l’impression qu’on ne s’est jamais quittés. Aujourd’hui, avec l’âge sonnant et même trébuchant, il n’est qu’Attila XIX pour nous imposer cette distanciation que nos « peintres » modernes appelaient, hier encore, « sociale ». Que je ne définirai pas comme physique mais « intellectuelle et morale »…

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