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Un monde qui se laisse mener à la baguette

La France serait un pays qui adore marcher à la baguette et il murmure aussi qu’il suffirait de lui donner du pain et des jeux pour qu’il se tienne tranquille. Pour que la magie s’opère il faut cependant que que ceux qui gagnent ou cassent leur croûte, portent un béret, une quille de rouge afin de correspondre au stéréotype franchouillard. En ajoutant l’ami Camembert on accentue la caricature qui dans le fond n’a jamais vexé personne et à procurer du bonheur à bien des gens simples. Qu’y-a-t-il en effet de plus agréable que de combiner pour une tranche de vie authentique, une portion de ce fromage moelleux à cœur avec ce que le boulanger a de meilleur ?

Tous les Normaliens de mon époque se souviendront des jeudis, avant de retourner dans le séminaire laïque de Bourran, les permissionnaires se rendaient en masse dans l’auberge du « Merle blanc » située à proximité de la gare de Caudéran pour prendre les calories leur permettant de résister au Triumvirat (1) pour la fin de la semaine. La patronne fendait une demi-baguette tout du long et y logeait un demi-camembert coupé transversalement avec une couche de beurre facilitant l’ingestion.

Durant des décennies la baguette n’a pas réellement constitué la fabrication essentielle de la boulangerie. Lorsqu’il passait dans les campagne sen klaxonnant pour annoncer leur présence les livreur.euse.s proposaient le « sept-cents » ordinaire ou pour les familles nombreuses « la miche de quatre ». C’est en effet de la ville qu’est arrivée il y a seulement quelques décennies la fameuse baguette produit du XXe siècle.

C’est en effet une évolution de la demande urbaine. Les gens aisés en ville avaient besoin d’un pain frais plusieurs fois par jour. Le grand pain qui faisait entre 1,2 et 2 kilos était simplement trop gros. Et ils aimaient davantage la croûte que la mie. Nous ne connaissions que la tartine ! Large, bien aérée, moelleuse elle recevait la crème du lait avec de la poudre de chocolat ou une belle épaisseur de confiture maison. Et à la cantine quelques tronçons de sept-cents épongeaient des sauces et des plats roboratifs. Du solide !

Élégante, svelte, légère (250 g seulement) dorée comme un sou neuf, descendue de Paris dans les Provinces la baguette a maintenant son concours de « beauté ». La mie qu’elle soit blanche, grise, ou avec des céréales non compacte ou croustillante avec suffisamment de bulles restera souple. La croûte plus foncée que dorée ne doit pas avoir subi un excès de température lors de la cuisson. Celle qui aura été grillée devient plus croustillante que celle qui sera dorée.

La mie doit reprendre sa forme si on la presse sans que la partie supérieure se casse. Une œuvre de précision et qui nécessite une parfaite maîtrise des proportions, une qualité des produits de base et plus encore une attention sur le temps passé dans le four. Elle à une grande sœur pour les boulangers qui savent jouer des « flûtes » et une petite qui serait un peu plus « ficelle ».

Les secrets de fabrication ont été dévoilés depuis longtemps et désormais ce n’est vraiment pas sorcier de confectionner sa baguette à la maison. Les moyens techniques se sont développés avec des préparations robotisées et des recettes toutes prêtes. A part le charme de pouvoir mener à bien la confection de son propre pain il manquera toujours la touche professionnelle qui donne le plus au produit artisanal.

« Mange ton pain ! », toute mon enfance j’ai entendu cette exigence. Au point que désormais il m’est totalement impossible de manger sans avoir sous la main la tartine de mon pain quotidien évitant la remarque paternelle. Désormais le monde marche à la baguette puisque cette dernière a conquis ses lettres de noblesse sur la planète. Il est même question de l’inscrire au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco pour une consécration internationale. Un concours institutionnel permet même chaque année en Gironde de décerner un label de qualité (2)

Comme tout ce que l’on aime elle manque que quand on se trouve à l’étranger et que l’on ne trouve pas ces boulangeries où fleure bon son odeur et dans lesquelles il est possible de choisir la « bien cuite » ou la « moins cuite » dans les alignements verticaux derrière les comptoirs. On attend alors avec impatience le retour au pays pour manger  » son  » pain blanc et n’en faire qu’une bouchée pour le plaisir !

  1. le Triumvirat était un ménage sorti de la boite de conserve de petits pois, de carottes, des haricots verts

  2. Concours de la meilleur baguette artisanale gagné par un boulanger d’Ambarés

Cet article a 12 commentaires

  1. Laure Garralaga Lataste

    À l’expression « mange ton pain » s’ajoutait « finis ton assiette », car pour nous, « les enfants de la guerre », le mot gaspillage était interdit!

  2. Tusitala

    Le merle blanc était un endroit délicieux …à celui ci pourtant je préférais le petit café en face de l’école normale de filles à Cauderan…Allez savoir pourquoi …!!!

    1. Laure Garralaga Lataste

      Mais pour draguer les filles (et nous étions jeunes et belles) bien sûr !

  3. J.J.

     » il m’est totalement impossible de manger sans avoir sous la main la tartine de mon pain quotidien… »
    Je souffre moi aussi de cette habitude qui fait que je passe mon temps à aller couper du pain, n’en ayant jamais assez !

    « Mange ton pain AVEC », au choix : carré de chocolat, confiture, etc.
    Maintenant c’est « mange ton chocolat AVEC du pain » (rare et facultatif).
    Quant à cette baguette, « amuse ballots »(ballots = lèvres) sans grande consistance, je lui préférerais , si l’on en trouvait encore, une bonne miche de 4 livres, ou une couronne, à la mie un peu brune, mais tellement tendre et savoureuse, et qui se gardait la semaine.

    La baguette, que je m’obstine à appeler régionalement « flûte » ne passe généralement pas la journée, le lendemain elle est à casser au marteau, tout juste bonne à jeter pour les prodigues, à tremper la soupe pour les vieux radins comme moi.

    Je suis de cette génération à qui l’on avait inculqué l’idée que jeter du pain était un crime (compréhensible quand on a mangé cet espèce de chose infâme appelée pain noir, ou encore du pain de maïs).

    1. Laure Garralaga Lataste

      Et même que pain de maïs était plus mangeable que pain noir…

      1. J.J.

        …à condition de ne pas s’écorcher avec…

  4. Monge Evelyne

    Mes meilleures baguettes étaient proposées au petit déjeuner de certains hôtels parisiens lors de mes déplacements professionnels. Tôt, la baguette était bien fraîche et croustillante à souhait ! De délicieux souvenirs !

    1. Laure Garralaga Lataste

      On les repère vite… les pistonné.e.s.

  5. Philippe Conchou

    50% du pain acheté est, parait-il, jeté. C’est à la fois scandaleux et pas surprenant vu qu’il est devenu impossible de trouver du vrai bon pain, celui qui reste bon plusieurs jours.
    Dans mon enfance,on donnait au boulanger un sac de 80 kg de blé en échange on recevait 21 tickets pour des pains de 5 livres.
    Ma mère me gardait les quignons de la semaine que je devorais avec délectation le samedi en rentrant de pension avec un reste froid de l’omelette du vendredi soir.
    De ce plaisir simple, j’ai gardé l’habitude de ne pratiquement manger que du pain de la veille.
    Encore faut-il trouver un bon boulanger…

  6. grené christian

    Toi, qui est bon comme du pain blanc, a bien de la chance d’avoir Laure comme fidèle lectrice. A lire ses commentaires on sent chez elle… L’Amie. Et puisque tu parles des boulangers qui savent jouer de la flûte, Jean-Marie, ne pas oublier les chefs d’orchestre qui ne seraient rien sans leur baguette.

    1. Laure Garralaga Lataste

      Toi aussi Christian tu es « bon comme du pain blanc! » et je suis ton Amie !
      à Jean-Marie : n’oublie pas la baguette du prof de danse classique qui redressait les jambes alanguies…!

  7. Laure Garralaga Lataste

    Nous sommes vendredi 26 mars à 13h25, sur France Inter…
    Ils viennent de parler de … « la baguette » !
    Notre baguette, la nôtre, l’unique… blonde et croustillante !!! (je suis brune et je hais les b…).
    Si nous passons sur les ondes de France Inter…
    C’est très bon signe… Ils lisent « Roue Libre » !

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