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Souvenirs de JO (1) : Jazy perd mais gagne des coeurs

Depuis que j’ai des souvenirs, les Jeux olympiques me fournissent des moments personnels mémorables. Certes je n’ai jamais eu le privilège d’assister de visu à la moindre épreuve mais j’ai dévoré les reportages de Sud-Ouest dès ma prime enfance et j’ai maintes fois caressé le rêve de devenir un jour journaliste sportif pour pouvoir être un témoin privilégié des exploits d’athlètes dont je suivais attentivement toutes les performances.

En 1960 le grand quotidien républicain régional d’information arrivait en mairie porté par Henri Mandouce un facteur de légende sadiracais ayant bien des points communs avec Joseph Ferdinand Cheval et François de Jour de Fête. En septembre de cette année de mes 13 ans je suivais avec passion les courses de Michel Jazy. Le grand spécialiste du demi-fond français figurait parmi les médaillés d’or potentiels lors des Jeux de Rome. Je lisais tout ce qu’André Ducos alors grand reporter à la rédaction sportive de Sud-Ouest écrivait sur lui.

La plupart des papiers des mois précédents portaient sur une rivalité qui préludait à celle passionnée entre Anquetil et Poulidor. Elle était  similaire à bien des égards. Jazy, élégant, aérien, doté d’une foulée ample adorait battre des records était opposé à un autre gars du Nord, rude, austère, laborieux, spécialiste de cross-country, Michel Bernard. Comme je deviendrai quelques années plus tard un « Anquetilien » immodéré, je fus un « jazyfan » sincère et donc forcément injuste pour la natif d’Anzin que je considérais comme un second rôle.

Il me fallait tout imaginer des JO puisque nous n’avions pas la télévision et le « quotidien régional » préférait le « poids des mots » au « choc des photos ». Les rares clichés de Jazy me ravissaient donc. Le vrai problème c’est mon grand-père Abel avait, par souci d’économie, l’habitude de découper les pages du journal pour les accrocher à un fil de fer spécial installé dans la « cabane au fond du jardin ». Il me fallait donc me rendre dans ce lieu d’aisance très rustique pour reconstituer les quelques articles consacrés à mon favori et dévorer des morceaux d’articles ! 

En 1960 mes parents eurent le projet d’acheter un poste de télévision. Pour le concrétiser ils avaient besoin d’une bonne récolte dans la vigne et ce ne sera que deux ans plus tard que la bonne nouvelle arriva en octobre. Les Jeux olympiques de Rome bien qu’ils fussent retransmis en eurovision pour la première fois de l’histoire olympique étaient oubliés. Pour assister à l’éventuel exploit de Jazy lors du 1500 mètres je n’avais en fait qu’une seul possibilité. Un colonel de la Légion étrangère en retraire habitait une maison sympa à l’entrée du Bourg de Sadirac et il était le seul habitant de la commune à posséder l’une de ces étranges lucarnes en noir et blanc de taille réduite.

Nous avions pris l’habitude, avec mon frère de nous poster sur le talus en face de la fenêtre du salon où était installé sur le meuble principal le fameux poste. Madame Brochot, femme d’une exquise gentillesse, avait eu l’idée de tourner vers l’extérieur l’appareil pour nous permettre, quand nous étions là, depuis l’extérieur et de loin, de deviner le sens de ces images mouvantes. Nous avions ainsi découvert les exploits de Rintintin mais là il s’agissait de ceux de Jazy…. que je ne pus pas vivre puisque le couple des propriétaires n’était pas chez lui le mardi 6 septembre vers 15 h . Je dus me résigner à rentrer le plus vite possible et en vrai sprinter, à la maison pour écouter la retransmission sur le majestueux poste de radio doré et marron que mon père avait acheté d’occasion à l’épicier de Lorient.

Le commentateur rappella que l’Australien Herb Elliott était logiquement le grand favori. Depuis 1958, il détienait en effet le record du monde en 3 min 36 sec. Les deux enfants du Nord, pas encore devenus les amis qu’ils seront plus tard, défendaient les couleurs françaises. Les deux Michel, Bernard et Jazy, allaient réussir une course inoubliable. Le premier partait sur les bases du record du monde et faisait des dégâts dans le peloton, ce qui remplit d’espoir et enthousiasma le radio reporter d’Europe N° 1. Au 800 mètres, Elliott revint et l’attaque. Superbe, Bernard lutta au coude à coude avant de céder aux 950 mètres. II avait tout donné et finit lessivé septième !

Derrière Elliott, restaient le Hongrois Istvan Rozsavolgyi et Jazy dont le commentaire rappella à la France entière qu’il était  « de Oignies, typographe à L’Équipe, fils d’immigrés polonais dont le père était mort de silicose ». Jazy attaqua crânement à l’entrée de la dernière ligne droite. II allongea sa foulée et passa le Hongrois, mais ne put rien contre Eliott. Il sera médaille d’argent et battra le record de France en 3 min 38 sec 4/10). La médaille d’or et le record du monde (3 min 35 sec 6) revienaient à Elliott.

On parlera de Jazy et de sa rare médaille ramenée de Rome (1) durant des mois. Je ne verrai que des années plus tard dans des rétrospectives, cette course olympique qui fut éclipsée dans le monde entier par la victoire au marathon d’un Éthiopien aux pieds nus qui fit la une de tous les journaux. Un certain Abébé Bikila entrait, lui, dans l’Histoire de Jeux olympiques mais pour moi l’argent de Jazy était plus enthousiasmant et reste immortel.

(1) Dans « Paris-Presse » du 1er septembre 1960 Jacques Faizant croque le général de Gaulle en survêtement, valise à la main, prêt à partir pour Rome et maugréant : « Dans ce pays, si je ne fais pas tout moi-même… » Attaché à une certaine (et grande) idée de la France, le Général ne cache de fait pas son irritation devant les piètres résultats de nos représentants. Avec un bilan final qui tient sur les doigts d’une seule main, ce camouflet romain sera l’occasion d’une prise de conscience du fait que le temps de l’improvisation et de l’à-peu-près est révolu

Cet article a 5 commentaires

  1. Philippe Conchou

    Grâce à la télé qu’une lointaine cousine avait gagnée aux journées commerciales de Libourne en 1959 et donnée à ma sœur, j’ai pu être téléspectateur très jeune et assister aux rares exploits de nos sportifs.
    Le défaite de Jazy, unique chance de médaille d’or, avait été vécue comme un drame national.
    Mais, à l’époque, on ne faisait pas grand cas de nos grands sportifs, tous amateurs , confrontés à des amateurs bidons (USA) ou fonctionnaires (URSS) et dopés.
    Livrés à eux-mêmes, ils devaient se débrouiller seuls pour s’entraîner en dehors du travail, et être extrêmement doués pour réussir.
    On pourrait presque faire le parallèle avec nos jeunes chercheurs actuels, largement délaissés et obligés de s’exiler pour exister.

  2. J.J.

    « …le Général ne cache de fait pas son irritation devant les piètres résultats de nos représentants…. »
    Et la faute à qui s’il vous plaît ?
    Aux enseignants bien sûr, qui ne faisaient pas assez d’éducation physique et sportive (la plupart du temps faute de temps, de compétence, de matériel et d’installations ad hoc).
    À part bien sûr en classe de certif, la préparation à l’incontournable BSP, et à la préparation des Lendits, dans les villes.

    Aussi, directives officielles obligent, à la conférence pédagogique de rentrée, nous eûmes droit à une démonstration de ce que l’on pouvait faire comme pratique sportive dans un salle de classe, avec des élèves restés sagement assis. Il faut l’avoir vu et vécu pour le croire, et les assistants ne furent pas vraiment convaincus.

    Pourtant on nous assura que si on mettait ça en pratique, aux prochains J.O. , promis, juré, on allait voir ce qu’on allait voir !

  3. Grene christian

    Jazy? Il valait pas un… Zatopek!

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à Christian
      Excellent ! Et parfaitement d’accord… !

  4. Laure Garralaga Lataste

    Ah « cette cabane au fond du jardin » chère à Francis Cabrel … !
    Lieu d’aisance !!! ???…
    Malodorant, fétide, pestilentiel… Et que nous ne fréquentions qu’après s’être muni d’une pince à linge !

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