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Souvenirs de JO (4) : Jappeloup, le démon devenu un ange

Le dimanche 12 août 1984, il y a fort peu de monde à plus d’une heure du matin en France devant la téél du service des Sports de Sud-Ouest pour pour suivre l’épreuve de saut d’obstacles des Jeux Olympiques de Los Angeles. Les neuf heures d’écart entre la côte Ouest des États-Unis et Bordeaux en est la cause principale. La séquence olympique se referme sur une compétition marquée par le « match retour » du boycott américain du rendez-vous moscovite de 80 ! Le bilan tricolore n’est pas très glorieux. Il reste un espoir avec l’équipe des cavaliers pouvant encore prétendre au podium.

Tout reste possible jusqu’au moment où sur le neuvième obstacle, un petit cheval né dans le Blayais d’une mère nommée « Vénérable », probablement inspiré par l’air américain, se mue en compétiteur de rodéo. En refusant une installation baptisée « la porte de fer » il éjecte le malheureux Pierre Durand qui se retrouve le nez dans le sable avec le licol et les rênes dans une main pour s’être désespérément accroché à sa monture. Jappeloup file au galop vers l’écurie abandonnant son cavalier à son triste sort. L’image n’appartiendra pas à l’album des exploits californiens et aurait pu enthousiasmer les réseaux sociaux s’ils avaient existé.

Le natif de Saint-Seurin sur l’Isle mettra de longues semaines à se remettre de cet incident de parcours. Le couple s’en sortira cependant sans envisager le divorce, car entre Jappeloup et Pierre Durand le mariage reposait sur l’amour. Une infidélité, aussi spectaculaire soit-elle, ne romprait pas le pacte de confiance datant de 1981 quand Henry Delage « l’inventeur » de ce cheval exceptionnel à plus d’un titre, l’avait confié à un partenaire passionné. Ce jour-là, à Los Angeles ce dernier transforma ce qui était une humiliation en force. Il reviendrait avec encore plus d’ambition et ferait taire les critiques des cadres de l’équipe olympique d’équitation pue tendres avec la bévue de sa monture.

Un titre individuel de champion d’Europe en 1987 démontra que ce petit cheval atypique ne possédant aucun titre de noblesse sur son arbre généalogique, sorti de la « cuisse » d’un trotteur anonyme, pouvait franchir tous les obstacles. Sa présence au plus haut niveau s’imposa à tous alors que le camouflet californien était dans quelques mémoires de gens ne lui voulant pas du bien. Le journal m’avait aupravant demandé en décembre 1986 de rencontrer Pierre Durand avant le jumping de Bordeaux (1)

Los Angeles était oublié (ou presque) et le couple continuait à se découvrir «Jappeloup a encore trois ou quatre belles années devant lui. Si rien ne lui arrive il peut obtenir encore de jolies satisfactions » m’expliqua celui qui avait terminé sur le podium de la Coupe du Monde par équipes (85), remporté un nouveau titre de champion de France et une médaille de bronze par équipe aux Mondiaux quelques mois auparavant.

« Ce cheval est un ange mais aussi une petite frappe de banlieue » expliquait il en jetant un regard vers le pré où son « compagnon » broutait paisiblement. « Il a un courage, une vaillance, des qualités extraordinaires de sauteur, mais il peut aussi dans les moments les plus importants perdre le contrôle de ses nerfs. Pour moi je dirais qu’il est né aux Minguettes somme un certain Luis Fernandez et qu’il est tout aussi imprévisible que lui. » La comparaison surprenante était accompagnée d’une note optimiste : « Une chose est sûre, il s’améliore en vieillissant ». L’éloignement ne permettait pas à Jappeloup de goûter à cette analyse dont on ne savait pas si elle était flatteuse ou critique. Je me suis toujours demandé s’il n’avait pas ressenti cette appréciation confiante.

En fait, Pierre Durand l’exemptait de tout reproche. « Le comportement de l’homme détermine celui du cheval qui pour moi est un médium amplifiant les angoisses ou la décontraction de son partenaire. Inutile de compter sur lui pour rattraper ses propres défaillances précisa celui qui pensait déjà aux jeux de Séoul. Les caresses, les paroles, tous les gestes sont perçus comme autant de signaux pour le cheval ». Lentement le Saint-Seurinois apprenait donc à former couple avec celui qui était capable de prendre sa liberté à tout moment.

Le dimanche 2 octobre 1988 la télévision a ouvert l’œil de bonne heure. Il y a davantage de participants pour assister à la clôture des Jeux de Séoul. La moisson en or n’est pas terrible. Nul n’ose évoquer au moment de l’entrée en piste du duo 100 % girondin la désillusion américaine. Avec maestria et une fiabilité hors du commun Jappeloup-Durand survole les obstacles refusant des tutoiements compromettants. Un temps canon et surtout un sans faute parfait. Le titre olympique récompense la patience, la confiance, la résilience de ce couple sans que l’on sache vraiment si le succès tenait plus à l’un qu’à l’autre.  Pierre Durant prendra la médaille remise comme le veut la tradition sur le cheval pour la suspendre au licou de Jappeloup…Une réponse possible à cette question.

J’eus alors en mémoire au moment de la Marseillaise ce qu’il m’avait confié quelques mois auparavant : « Après Jappeloup j’arrête la compétition au plus haut niveau…Sans lui rien ne sera aussi beau ! » Sa vaillance, sa détermination et la loyauté lui valurent une célébrité mondiale exceptionnelle. il est vrau que le démon rebelle de… Los Angeles avait réalisé les sauts parfaits de l’ange à Séoul ! 

(1) article publié en dernière page de Sud-Ouest Dimanche du 8 décembre 1986

Cet article a 3 commentaires

  1. Laure Garralaga Lataste

    Quand l’homme et le cheval ne font qu’un… ! ! !
    Permettez moi une comparaison… : quand l’homme et la femme ne font qu’un…

  2. Grene christian

    Cher Jean-Marie,
    ta chronique du jour réveille en moi des souvenirs chargés d’émotion. Ceux de 1968 quand je portais le maillot de football du Stade Blayais et que nos repas d’après-match se déroulaient de temps en temps chez un certain Henri Delage, à Reignac dont le stade porte aujourd’hui le nom. C’est là que j’ai vu « grandir » plus tard le petit Jappeloup, élevé par l’hôte des lieux et Titou Vallaeys, ex-recordman de France du saut en hauteur (2m.11, le 9 juin 1965 à Rennes). Tous deux trop tôt disparus.
    La vie de H.D. (pas Henri Desgrange) est un roman. Bien des Girondins de Bordeaux (Guillas au premier rang) m’ont raconté leurs soirées passés dans son estaminet à Meriadeck, pas loin de chez Gallice et Swiatek.
    Plus tard, j’étais pigiste à « Sud Ouest » et je me suis retrouvé pion au collège Montesquieu de Libourne où m’avait fait entrer un certain adjudant-chef Rosier – même nom que le champion olympique de saut à cheval par équipes à Montréal (1976) – pour arrondir mes fins de mois. Comme moi tu as bien connu notre Rosier du 31e RG à Libourne. Eh bien! Sache que j’avais comme élève Pierre Durand dont je suis devenu l’ami en devenant journaliste. On se retrouvait souvent à Saint-Seurin/Isle. On envisageait d’écrire la biographie de Jappeloup mais Karine Devilder avait d’autres arguments que moi. Ainsi est né « Crin Noir » bien avant le livre co-écrit par le champion olympique de Séoul et notre ami cher Fradet.

  3. Philippe Conchou

    Il sautait haut le petit Jappeloup, peut-être un peu trop haut… il est mort à 16 ans d’un arrêt cardiaque…
    C’est jeune pour un cheval…

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