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L’oasis réconfortant du repas familial partagé

Les repas de famille restent des moments extrêmement précieux pour celles et ceux qui ont la chance de pouvoir de temps à autre rassembler leurs proches. Depuis des mois ces retrouvailles se sont raréfiées ou on été placées non plus sous le signe de la joie du partage, mais sous celui de la peur de la tristesse de l’exclusion pandémique. Il a été peu recommandé de serrer celles et ceux que l’on aime sur son cœur et si la fameuse bise n’a pas totalement été effacée elle s’avère un geste en voie de disparition. L’espace proche est devenu un vaste billard où même les proches ressemblent à ces boules qui se croisent, de heurtent ou s’évitent.

Inévitablement il demeurera des séquelles de ces deux années durant lesquelles s’est accentué l’éloignement avec les parents et les amis. Les cercles restreints, prudents, aseptisés ont lentement supplantés ces réunions durant lesquelles l’échange constituait un bien précieux. On ne se voit plus en interaction collective mais on s’aperçoit ou on se rencontre furtivement. Même si personne ose l’avouer la profusion des messages alarmistes ou simplement réalistes nous ont rendus méfiants. Il existe bel et bien une nouvelle distanciation que le pouvoir en place avait qualifiée de « sociale » avant de battre en retraite. Or la précision était prémonitoire : elle existe bel et bien.

Dans un tel contexte la fracture des générations au sein des familles constituera le phénomène le plus dramatique pour l’avenir. Les enfants et les jeunes ont été à demi-mot considérés comme responsables de la propagation du variant Omicron. Maintenus à l’école ou au collège avec des protocoles complexes, les gamines et les gamins ont remplacé dans la chaîne de propagation du virus, les personnes âgées qui avaient été touchées dans les établissements collectifs les accueillant. Les visites se sont éloignées. Les rencontres manquaient et manquent encore de cette décontraction nécessaire à ce que l’on appelle l’affection partagée. Le repli sur le strict minimum aura bien du mal à s’estomper.

« Lorsque l’enfant paraît » reste l’un des plus beaux poèmes de Hugo. Il faudrait le lire et le relire pour se persuader que ces repas où deux ou trois générations se retrouvent, constituent un immense privilège pour celles et ceux qui savent (ou qui peuvent) encore les maintenir et les faire vivre. Qu’y a-t-il de plus précieux que de se retrouver autour d’une table pour sortir de ce carcan des consigne sanitaires considéré comme indispensable. La tendresse, la fraternité et une forme de solidarité ont pris de sacrés coups dans l’aile. Quand les habitudes ne les rendaient pas déjà essentielles, ces vertus sociales auront été les victimes des protocoles. Les familles éclatées ou en instance d’implosion ne reviendront pas en arrière.

Hier ma « tribu » était au complet sous mes yeux. Elle était là heureuse de se retrouver et de se raconter son quotidien avec ses soucis et ses satisfactions. Quel plaisir réel de constater qu’ils s’entraident, s’encouragent, se confortent, se respectent et s’aiment ! Quelle jubilation de les entendre se chambrer, se raconter ou se rassurer grâce à leur entente réelle. Il y avait pas mal de temps que je n’avais pas bénéficié de cette sensation de me retrouver au sein d’un vieux cocon familial que nous les plus âgés, avons sans cesse essayé de rendre aussi accueillant et douillet que possible.

J’ai l’impression d’avoir manqué durant des mois de ce poste d’observation au boute de la table, sur cette mini-ruche dans le fond très diverse mais tellement heureuse. Ma joie intérieure était plus intense qu’auparavant et c’est l’un des bienfaits de la crise sanitaire car elle a rendu précieux ce que je pensais banal. Quand toute le monde s’est éparpillé j’ai eu brutalement une crainte que je n’avais jamais éprouvée : celle que de ne pas pour diverses raisons, pourvoir retrouver des heures de bonheur.

La crise sanitaire aura imposé le silence, l’éloignement et la culpabilité de partager l’insouciance pourtant tellement indispensable à une vie équilibrée. Comme le veut une société matérialiste on oublie que les dégâts psychiques ou affectifs constituent des blessures mortelles pour le vivre ensemble. Dès que les consignes seront assouplies des constats bien différents des statistiques quotidiennes sur les contaminations, les hospitalisation, les décès seront dressés mais celles et ceux qui les porteront ont peu de chances d’être entendus.

Jamais l’alcoolisme à domicile n’a été aussi fort. Les ventes dans les grandes surfaces en attestent. Jamais on a vu autant de faits de violence intrafamiliales. Gendarmeries, commissariats, sapeurs-pompiers le constatent. Jamais la pression n’a été aussi forte sur les spécialistes du soutien psychique notamment chez les jeunes. Jamais nous avons entendu autant d’appels à la haine, à l’exclusion, à la confrontation voire à la violence. Alors permettez-moi d’avouer que ce repas familial prend des allures d’oasis dans un désert angoissant.

 

 

Cet article a 10 commentaires

  1. Laure Garralaga Lataste

    De ces quatre jamais, je retiendrai le dernier « Jamais nous avons entendu autant d’appels à la haine, à l’exclusion, à la confrontation voire à la violence »…
    Désolée Jean-Marie, si toi tu es né dans ces belles années de l’après guerre, moi qui suis née le 07 février 1939… j’ai connu la haine, l’exclusion, la violence, les dénonciations, la déportation et les disparitions. Un exemple : j’ai dû attendre 2020 pour connaître la date – 1942 – et savoir ce qui était arrivé à mon grand-père… disparu après avoir été emprisonné au Fort du Hâ de Bordeaux !

  2. facon jf

    Bonjour,
    En ce triste jour anniversaire de la disparition de ma nièce, à la suite d’un accident, rappelant immanquablement la perte de mon jeune fils pour les mêmes causes des années plus tard ; votre billet me suggère cette citation  » Le bonheur ne se laisse voir que de dos. » ( Il est minuit, docteur Schweitzer (1952) de Gilbert Cesbron)
    Hier repas de famille pour l’anniversaire de ma petite fille, les chaises laissées vides par nos disparus se sont garnies des nouveaux venus … Ainsi va la vie.
    Malgré toute la chaleur humaine autour de la table, l’ombre de la Covid apportait sa froideur. Tels frileux s’étaient abstenus de venir pour les autres anniversaires, tel autre était présent mais s’était abstenu des traditionnels bisous.
    Même si les rires des plus jeunes ont réchauffé l’atmosphère des fêlures profondes ont désaccordé les sons familiers de ses précieuses retrouvailles. Les discussions si animées par le passé se sont feutrées, sans doute pour éviter de briser définitivement des liens devenus trop fragiles.
    Pendant encore longtemps nous allons essayer de maintenir ces liens si précieux qui nouent les fils du bonheur invisible à nos yeux.
    Retendre les liens sans les briser,écouter sans juger, argumenter sans blesser, accepter l’autre dans ses différences , ce chemin de funambule sera long.
    Bonne journée

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à facon jf
      Je me demande si, un jour, « les beaux jours reviendront » !

  3. J.J.

    Ayant eu la malchance d’atterrir dan une famille d’Atrides, je n’ai jamais gouté aux joies d’un tranquille et réconfortant repas de famille.

    « Jamais nous avons entendu autant d’appels à la haine, à l’exclusion, à la confrontation voire à la violence. »
    La délation est également redevenue d’actualité : dans un petit village, pendant le confinement, des personnes qui avaient traversé la rue pour se rendre dans leur jardin ont été dénoncées aux gendarmes et ceux ci ont pris la peine de se déplacer pour morigéner les soi disant contrevenants.
    Dans mon quartier, suite probablement à une dénonciation(il n’y a pas de juifs ni d’individus louches, à part quelques dealers bien pénards, à dénoncera à la Gestapo) plusieurs personnes malades qui n’avaient pu déplacer leur voiture garée sur un parking devant leur immeuble où elles ne gênaient personne, ont non seulement reçu une contredanse, mais ont eu leur véhicule mis en fourrière.(article visible sur la Charente Libre 20/02/2022).

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à J.J.
      Heureusement que ces « jardiniers » dénoncés aux gendarmes n’ont été que… « morigénés »… !

  4. christian grené

    J’ai tiré le n°3 dans une fratrie de huit frères et soeurs conçu(e)s par un couple d’instit’s qui, le soir venu, continuait la classe autour de la table. Je ne vous dis pas le nombre de nièces, neveux et petits enfants que ça fait aujourd’hui. Alors, les repas de famille!…
    Pourtant, cher Jean-Marie, ton sujet du jour me guide plutôt vers la relecture de deux petits livres craquants comme des petits LU: « Des rires au délire » d’un certain Popeye Harribey, résidant à Bonnetan, proche de toi qui a signé « Si le bistrot des copains m’était conté ». C’est l’histoire, dans les deux cas, de ces rendez-vous délicieux que l’importun Covid est venu troubler.
    Et tout ça me rappelle le souvenir d’un repas à l’italienne auquel j’avais été invité par Léo Ferré à Castellina in Chianti (Toscane). On me surnommait alors Lagrène. Peut-être d’ananar, comme dans la chanson. Je l’avais rencontré pour la première fois à la Fête du PSU, en 1973, au stade de Colombes qui a bercé mes rêves de devenir un jour ce que je suis devenu, un an après sa mort (14 juillet 1993!). Entre-temps, je l’avais invité au restaurant à Saint-Emilion, après un concert donné à Castillon, avec des copains et des copines qui voulaient approcher leur idole.
    Covid n’existait pas. Léo s’est mis au piano et nous, enfants de 68, on a chanté « La musica me prende come l’amor ». Ne reste plus qu’un album photos en noir et blanc – il eut mieux valu rouge et noir – signées Jean-LouisDuzert, qui me fait irrésistiblement penser aux livres précités. Aussi nul en écriture que mon bulletin de vote, j’ai la honte de n’avoir jamais pris ma plume pour évoquer ces souvenirs. Je le fais aujourd’hui pour chasser les miasmes de cette pandémie venue mettre les pieds dans le plat.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à Lagrène d’ananar…
      Alors comme ça, tu avoues tes mauvaises fréquentations en 73 ! Et quand je pense que Léo a choisi le 14 juillet pour nous tirer sa révérence… Quant à « cette pandémie venue mettre les pieds dans le plat… » Elle n’est pas la seule à nous rappeler que, face aux monstres historiques internationaux, nous ne sommes pas grand chose, et peut-être que demain, nous ne serons plus rien… !
      Signé La Pythie.

      1. Laure Garralaga Lataste

        Comme « Roue Libre » est en panne ce matin… je me venge en relisant et en écrivant sur celui d’hier… !
        Comme aurait dit Léo… « je vous ai fait un bel artifesses ! »

    2. Laure Garralaga Lataste

      @ à Lagrène d’ananar…  » message codé : Les Français parlent aux Français…
      Si tu connais la chanson : « Dit… quand reviendras-tu? Dis au moins le sais-tu que tout le temps qui passe ne se rattrape guère que tout le temps perdu… ne se rattrape plus! », n’oublie pas que « j’attendrai le jour et la nuit j’attendrai toujours… » ton passage en ma jolie demeure ! J’arrête là, car la rime qui suivrait est trop triste, surtout pour moi !

      1. christian grené

        J’aime Léo Ferré, mais pas Barbara. Na!

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