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Le marché miroir d’une période contradictoire

Le marché a en ces premières heures, véritablement rois ses atours estivaux. Sans que ce soit explicable autrement que par la présence dès le lever du jour d’un soleil généreux, tout le monde a le sourire devant et derrière les étals. Depuis belle lurette Créon n’avait pas connu pareille ambiance. Tous les commerçants non-sédentaires habituels occupent leur place et les occasionnels venus en renfort accentuent le sensation que les infidélités hivernales sont terminées. Dans le dédale des propositions commerciales en tous genres, les chalands libérés moralement et matériellement du masque s’affairent en tenue légère ou au minimum allégée.

Le retour des mercredis matins heureux s’amorce en ce joli mois de mai prêt à entrer dans le livre des records de température. En attendant le fond de l’air reste frais comme pour rappeler que le climat n’a rien à voir avec la météo. Le réchauffement ne viendra que vers dix heures quand l’astre royal prendra assez de hauteur pour pointer au-dessus des maisons bordant la place centrale. Les couleurs des légumes aux provenances diverses s’en trouvent brutalement ravivées comme s’ils fêtaient ce retour à la normale. L’animation monte au fil des heures comme celle d’une fourmilière retrouvant enfin son activité normale.

Alors que depuis des mois, il fallait un certain temps avant que les conversations ne s’engagent puisque les participants devaient parvenir à s’identifier derrière leur illusoire protège-virus. Désormais le sourire de la libération est revenu et les informations circulent. Majoritairement elles concernent la santé compte tenu de l’âge moyen des habitués de ce rendez-vous séculaire. On est loin, très loin des élections, des menaces de la guerre ou du naufrage sportif et financier des Girondins de Bordeaux. Le grand bol de bonheur de pouvoir retrouver ses habitudes suffit à les satisfaire et ça se voit.

La terrasse où se retrouvent les Copains se peuple lentement d’abord avec la cohorte des privilégié(e)s ayant le temps de boire la tasse. Ils nagent dans l’insouciance ce qui ne leur était pas arrivé, pandémie oblige, durant les éditions récentes de ce moment de partage. Sur les fauteuils au ras du parvis ou sur les chaises hautes pour surveillants de baignade dans les us et coutumes du marché, arrivent ensuite les adeptes entièrement dévoués au demi. Tout le monde se soumet à l’obligation de prendre place sous les parasols bardés du logo « Jupiter » en charge de les protéger.

Les conversations montent d‘un ton sans jamais égaler le niveau des gens à rosé. Si le facteur officiant dans le centre ville a été contraint compte-tenu de l’affluence, de décaler sa tournée, celles de « tontons » trinqueurs ne prennent aucun retard. Ils appliquent l’équité et la solidarité à leurs échanges de ballons ou de flûtes tout en se penchant avec toutes les apparences des sondeurs en période électorale, sur les pronostics du quinté du jour. D’autres évoquent des repas où le sanglier trône sur des tables d’après battues aux nuisibles bienvenus. Les plaisanteries volent. Nicolas et Vincent remplissent pleinement leur rôle de ravitailleurs de gosiers assoiffés plus ou moins patients. La pression omniprésente s’installe comme partout ailleurs rendant la bonne humeur volatile.

Pendant que les insouciants profitent de l’air du temps libre, d’autres se confrontent à loi du marché. L’unanimité se fait très vite entre celles et ceux pour qui la bourse se vide plus rapidement que d’habitude : la remise des prix les préoccupe. En une semaine les pancartes écrites à la craie ou les étiquettes adorant la valse ont pris le chemin de la croissance. Jamais sur les étals ont connu pareille emballement. Le pain, le poisson, la viande, les œufs, les légumes, les plats cuisinés… l’inflation a un caractère concret et le fameux « pouvoir d’achat » se transforme en « devoir d’économiser ». Entre l’envie de se libérer des contraintes antérieures et celles qui sont en train de naître, les portefeuilles balancent. L’insouciance a vraiment un prix! 

Bécaud aurait aimé les odeurs, les couleurs, les saveurs de ce marché de « province » alors que Brassens aurait été très déçu de constater que les gendarmes venus à pied n’ont eu aucune échauffourée à régler à propos de bottes d’oignons. La place se vide plus lentement que les derniers verres. Le quotidien de la télé reprend ses droits avec son incessant ballet des événements à l’importance différente. Toute une matinée en se baignant dans le soleil de la vraie vie j’ai bien du mal à retourner à ce monde où il me manque le ciel bleu de l’espoir. Peut-être qu’un rosé frais…

Cet article a 6 commentaires

  1. Gilles

    Ah quelle est délicieuse cette ambiance des marchés de province par beau temps !
    Néanmoins, désolé de gâcher la fête mais de gros nuages noirs sont en train de pointer à l’horizon. Entre le prix de l’énergie que tu évoquais hier et la valse des étiquettes, sans parler du conflit qui s’éternise, combien de temps allons-nous tenir?
    Bonne journée quand même…

  2. J. J.

    …les parasols bardés du logo « Jupiter »
    Jupiter ou Jupiler ?
    Tout ça me semble un peu Hermétique. Il est vrai que c’était le dieu protecteur des marchands (mais également des voleurs).
    Ce pauvre Hermès est un peu dévoyé, à Créon comme dans d’autres villes, rares doivent être les ménagères qui effectuent leurs emplettes nanties d’un sac Hermès.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à J.J.
      Hermès, dieu du commerce et des voleurs… Une preuve s’il en fallait que l’un ne va pas sans les autres !

  3. très beau marché, un peu cher, et trop de monde, se garer est difficile, alors je n’y vais plus. dommage
    bonne journée à tous

  4. christian grené

    J’aime le marché noir… de monde. Comme à Libourne (mardi, vendredi et dimanche) ou à Mérignac (samedi). Et comme à Créon, je m’installe à la terrasse d’un café-restaurant pour observer les chaland(e)s. Et à l’étal du poissonnier, devinez un peu ce que j’achète? Un bar.

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