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Ici et ailleurs (23) : la retraite (non secrète) de Claudio

Il respire le mystère. Impassible. Parlant à mots comptés. Doté d’une formidable capacité à capter tout ce qui est invisible ou inaudible pour les autres, doté d’un regard perçant Claudio appartient à la famille de ces hommes dont les drames de l’Histoire ont modifié la vie. Il a appartenu à l’armée des ombres, celle dont toutes les résistances ont eu besoin. Son engagement politique convaincu aux cotés de Ricardo Lagos, l’un des proches de Salvador Allende l’a conduit à fréquenter les couloirs de la Moneda en tant que fonctionnaire. Un parcours qui lors du coup d’état fasciste de Pinochet le verra basculer très tôt dans la clandestinité. Il me semble parfois qu’il n’en est jamais sorti.

« J’ai effectué comme bien d’autres Chiliens un long séjour linguistique en Europe » explique—t-il avec un humour particulier. Il est vrai que son français est exceptionnel. Il l’a appris durant cette période durant laquelle il a joué un rôle capital pour fédérer et soutenir les organisations de gauche ayant leurs principaux dirigeants sur le Vieux Continent. Difficile de savoir sa fonction exacte. Claudio n’a jamais étalé ses souvenirs. Grâce à des amis communs qui m’ont permis de le côtoyer tant dans son pays qu’en France, et de partager des moments exceptionnels à ses cotés, j’ai fini par apprendre quelques bribes de son parcours clandestin.

Agent de liaison celui que j’ai toujours connu avec des cheveux blancs de poète, se déplaçait d’un pays à l’autre en toute discrétion. Les militants de son parti se trouvant en Espagne, dans une Allemagne partagée en deux, dans les autres pays de l’Est ou ceux du Nord selon les visas accordés, Claudio assurait la survie de l’organisation. Il transportait dans une ceinture confectionnée pour cette mission, les fonds accordés par les gouvernements communistes. Un engagement risqué relevant du statut d’agent secret qui l’a probablement imprégné de cette méfiance constante. Il échappa a bien des pièges car ces sommes conséquentes pouvaient susciter des convoitises. 

Sa rencontre avec Margarita, devenue assistante sociale pour les réfugiés chiliens n’a pas modifié ses habitudes. Elle aussi avait connu des moments douloureux à Santiago. Militante très engagée elle avait échappé dans des circonstances rocambolesques à la torture et à la prison. « Après avoir été arrêtée, interrogée mis en présence de mon mari d’alors qui avait été torturé pour fournir le nom des membres de notre parti, j’ai été relâchée avec l’espoir que je tenterai de prévenir tôt ou tard nos amis et qu’ils pourraient les arrêter. L’un d’entre eux m’a prévenu du piège. Il m’a simplement prévenue que nous allions effectuer une promenade en amoureux  un dimanche après-midi. » m’a raconté un soir au Chili celle qui est dotée d’une volonté de fer en toutes circonstances.

« Il me tenait par le bras ou par la taille. Nous étions sur la grande avenue Cordell. Je ne comprenais vraiment pas où mon camarade voulait en venir. Tout à coup au moment où nous passions devant l’ambassade de France l’une des portes s’est ouverte et mon accompagnateur m’a violemment poussée à l’intérieur. La porte s’est refermée. J’étais en France. Il savait que je n’aurais pas accepté de quitter les miens autrement. » Elle n’aura l’explication de ce geste que bien plus tard.

Il lui faudra en effet attendre de longs mois avant que la France lui délivre un passeport lui permettant de rejoindre Paris et être à l’abri. « Nous étions des centaines à vivre dans l’ambassade et dans la résidence de l’ambassadeur qui aura été avec sa femme un vrai héros humanitaire. Nous lui devons la vie ! » Claudio lui était déjà réfugié dans notre pays bien avant où sa mission le conduisit justement à rendre visite un soir à Margarita informatrice importante puisque son métier la mettait en contact avec les réfugiés nombreux dans la banlieue parisienne.

Lorsque Pinochet a quitté le pouvoir et que les prémices de la démocratie ont émergé dans leur pays natal tous deux ont regagné le Chili. Devenus hauts fonctionnaires ils préparèrent toujours dans la discrétion l’arrivée au pouvoir de Ricardo Lagos. Claudio resta aussi énigmatique ayant dans son réseau des personnalités influentes rencontrées sur le Vieux Continent où avec lesquelles il avait partagé la vie de la gauche chilienne. Rien n’était impossible pour lui. 

Il me l’a prouvé maintes fois grâce sa capacité à résoudre n’importe quel problème, à obtenir ce qui chez nous relève de l’exploit (rencontre avec Ricardo Lagos ancien Président par exemple ou participation au Ministère de l’Intérieur au décompte des voix lors de l’élection de Bachelet). Pas un mot plus haut que l’autre, pas une remarque susceptible de fournir une indication, une exquise prévenance  : celui qui fut diplomate représentant du Chili à Brasilia auprès de l’organisation Mercosur m’a toujours époustouflé par sa force tranquille. Rien ne l’ébranle. Il agit avec la souplesse du chat de gouttière. 

Hier matin, quand sur mon téléphone mobile est apparu son numéro avec la mention « Chile » j’étais heureux. La voix posée et joyeuse de celui avec qui j’ai tant de plaisir à partager des discussions politiques ou idéologiques m’a réjoui. « Tu sais Jean-Marie je voulais te dire : je suis à la retraite le 31 juillet prochain. » Il a plus d’un demi-siècle de services. Ne me demandez pas son âge : c’est secret ! 

Cet article a 3 commentaires

  1. J. J.

    Voilà qui me rappelle le temps où la municipalité avait recruté une réfugiée politique chilienne comme personnel de service pour notre école.
    Etant médiocrement hispanophone, je m’entretenais avec elle(c’est ainsi que j’ai découvert sa situation). Le personnel la traitait avec amabilité, les collègues avec indifférence, et la directrice m’avait « demandé des comptes » sur ce qu’elle considérait comme de la familiarité déplacée.
    Je ne sais ce que sont devenus notre Yolanda et son mari. Est elle repartie au Chili ? J’ai perdu sa trace . Mais j’espère que j’ai pu lui rendre modestement son exil en France un peu moins pénible.

  2. Bruno DE LA ROCQUE

    Mon éloignement de la métropole, les années et l’âge… bref : j’ai perdu le contact avec des amis chiliens, lui torturé (cicatrices au genou). Ont-ils retrouvé leur pays ? Ont-ils contribué à cette formidable évolution, à cette victoire électorale ? S’en réjouissent-ils ici en France ou « chez eux » ?
    Ta chronique Jean-Marie est à conserver, c’est un morceau d’Histoire.

  3. Rojas

    Ca fait plaisir d’apprendre un peu plus en profondeur l’histoire de vie de mon père. Merci Jean Marie.

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