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Ici et ailleurs (24) : Sous l’ange couvait le démon

L’inépuisable dramaturgie du Tour de France aura été éclipsée par la semaine dramatique de la Gironde en proie aux flammes. La « retraite » me permet enfin de goûter aux heures télévisées de ce qui demeure une épopée. Il y a 25 ans alors que je travaillais au service des sports de Sud-Ouest j’avais été mandaté pour suivre Richard Virenque durant 48 heures lors de sa venue au Critérium de Castillon la Bataille. Je ne résiste pas au plaisir de vous proposer le « papier » qui m’avait valu une avalanche de coups de téléphone et quelques courriers salés car je vantais les mérités d’un « tricheur » potentiel.« L’ange aux pois rouges » fut publié le 8 août 1997.

«  Il est 10 h 15. Le roi Richard s’éveille. La cour habituelle du Tour s’est évanouie. De la fenêtre de l;une des coquettes chambres du château Belcier réservées au cadres nationaux de la MACIF il embrasse du regard les Côtes de Castillon. Les vignes s’ébrouent surprises par les orages de la nuit. L’air regorge d’humidité. Le ciel jusque là d’un gris pâle vire lentement à l’anthracite. Virenque savoure le calme. Il inspire. Il respire. Il se relâche. Lui le chevalier au cœur de lion apprécie ce répit après la bataille. « J’ai la chance d’être un bon dormeur. Quels que soient le lieu, le bruit, j’arrive à faire le vide et à récupérer. Ici, c’est encore plus facile qu’ailleurs car rien n’a perturbé mon sommeil. Super ! » En jeans, polo gris et mocassins, Richard Virenque a consommé une dizaine d’heures dans un emploi du temps démentiel. Un luxe qu’il avoue ne plus connaître depuis belle lurette.

Lundi vers 19 h la marée humaine de Château-Chinon a enfin consenti à le libérer. Incroyable. Il n’en revient pas. « Les gendarmes avaient beau siffler à tue-tête, se démener pour repousser la foule, je n’arrivais pas à partir » explique Richard abasourdi par sa popularité. A toute allure, les voitures où avaient pris place Laurent Brochard, Pascal Hervé, Cédric Vasseur  et Eros Poli ont foncé vers l’aérodrome de Nevers. Un avion spécial attendait. Le vol financé à part égale par les organisateurs de Château-Chinon (lundi), Castillon (hier), Nîmes (aujourd’hui) et les coureurs, s’achève vers 22 heures à Mérignac.

Georges Barrière guette le groupe et le récupère soulagé. Une escale pour un repas récupérateur au Patio Hôtel et la troupe se disloque. « Il vaut mieux ne faire la tournée des critériums qu’en France car autrement elle prend vite des allures de galère » affirme me second du Tour de France. Le regard de Richard devient las, les joues plus creuses. A minuit il prend enfin possession de sa chambre aux Salles de Castillon. Les consignes données par Gilbert Dubois, l’affable régisseur des lieux sont claires : « Absolument aucun bruit tant qu’il n’est pas levé ! »

Au petit-déjeuner, vers 10 h 30 , fruits frais, pain grillé, café, plaisanteries sont au menu avec Laurent et Hervé les copains de toujours. Le temps ne compte plus. Le cocon de pierre du château Belcier étouffe les bruits de la foule des invités qui arrive progressivement. Dehors, la pluie joue des claquettes affolant les bénévoles castillonnais. Le trio s’en moque. L’heure des confidences, des analyses, des boutades est venu. « Je n’ai toujours pas digéré l’étape du Ballon d’Alsace (1) dans le Tour. Les gars échappés avec moi, ce jour-là, ont couru comme des gagne petit. Être quatrième, cinquième ou sixième suffisait à leur ambition. Je m’en souviendrai. Si les circonstances le permettent je renverrai l’ascenseur vers le bas. »

Le roi Richard perd son regard d’ange. Gueule d’amour, en renonçant à ses rêves, oublie sa gentillesse. « Moi je n’ai rien à me reprocher, j’ai tout tenté. » C’est ce caractère bien trempé, cette absence totale de renoncement qui séduisent le grand public. Le prince des grimpeurs devient homme du peuple n’ayant peur de rien. « Le public sait que je suis au rendez-vous quand il faut, que je donne le maximum de moi-même. Si une fois ce n’est pas le cas, c’est que j’en serai vraiment incapable. »

Les vélos viennent d’arriver par la route. La pluie redouble, les parapluies fleurissent, la pression monte. Les salons sont réquisitionnés à la hâte. On y étouffe. Cerné dans un coin, Virenque est vite acculé aux travaux écrits forcés dès son entrée. Les officiels tendent leur invitation ou un papier. Pas un refus, pas un geste d’agacement. Il n’en peut pourtant plus et se lève comme un diable pour aller happer l’air frais d’une fenêtre. « Je crois savoir gérer ces situations même si parfois, je suis un peu trop gentil. Dans quelques semaines ce sera fini, alors autant satisfaire tout le monde ».

Les dames ont un regard envieux et tendre. On le capture pour n’importe quel motif : « Richard, j’ai créé une assiette en porcelaine à l’effigie de Poulidor. Tu ma connais ? Je souhaite en créer une avec toi. Tu me signes le contrat ?» clame un importun, cigare en rut sous les barines du champion. S’il abandonnait du regard sa casquette ou ses lunettes quelques mains lestes se chargeraient de les transformer en trophées. Il ne s’appartient plus.

« Je suis réellement tranquille qu’à Versoir en Suisse où je demeure maintenant. Je fais mes courses sans problèmes alors qu’à Carqueiranne je ne peux me rendre que dans les grands centres commerciaux les jours de grande affluence pour échapper aux sollicitations. En plus à coté de Genève je m’entraîne avec Roscardin dans les cols qui ne sont qu’à quelques kilomètres. C’est parfait. » Avant le déjeuner Richard reçoit une médaille standard du Conseil général. Une de plus. Pas certain qu’il la récupère. Il traîne à une table isolée durant le déjeuner avec une demi-douzaine de coureurs arrivés in extremis dans l’anonymat quasi complet. Tout le monde respecte à regret ce moment de partage avec les autres. La pluie s’estompe. Le Critérium sera un succès.

Caroline une jeune bordelaise spécialiste de la chasse aux autographes et sa copine attendent devant chez Gérard Mounier l’arrivée de leur idole. Elles ont eu le bon tuyau : Virenque n’ira pas au quartier des autres partants pour se préparer. Elle l’ont que pour elles. La foule est déjà considérable. Elle n’attend que Virenque. L’arrivée du porteur du maillot à pois rouges déclenche la ruée vers l’or des signatures. Folie encore plus exacerbée au moment du départ impossible à donner dans une cohue indescriptible.

Apostrophé, tiraillé, supplié et même parfois agressé, Richard n’a aucun espace de repli. Le public en maillot à pois rouges n’a d’yeux que pour lui. La gente féminine s’accapare volontiers un coureur proche des créatures des Boy’s Band ou des « 2 Be 3 ». L’homme au cigare revient à la charge en le serrant par le cou pour lui arracher une promesse de réponse positive. Effrayant. 

Dès que le champion se dresse sur ses pédales pour s’élancer avec la troupe sur le circuit, il déclenche un mouvement collectif incontrôlé. A chaque passage on guette sa place. On scande son nom. Son ultime ascension victorieuse (il ne pouvait en être autrement) de la côte de Belvés tourne à la chevauchée triomphale. Le public lui colle au maillot. Il lui faudra de très longues minutes avant qu’il parviennent à s’en détacher. La Virenquomania vire à la folie collective.

Dans la soirée, le retour vers le château Belcier le ramènera au calme. Il faut déjà penser à la suite. « Samedi, j’irai à la Classica de San Sebastian. On passera à deux reprisses sur le circuit du championnat du monde. Si le parcours ne me convient pas je pourrais décliner la sélection en équipe nationale. En octobre je serai fatigué, ce ne sera pas un drame. Je me souviens d’une année où j’étais trop jeune pour être sélectionné alors cette fois je serai trop vieux. » Un ange passe (2).

(1) Dans l’ascension du col du Hundsruck au km 85, Pantani impose le rythme avec Virenque avec dans leur sillage Casagrande, Jimenez, Hervé, Escartin, Rodrigues, Julich et Rous. Les autres ont décroché. Le groupe maintient sensiblement le même écart avec Ullrich : 31″ au sommet. Mais Virenque stoppe de manière incompréhensible l’effort des Festina et joue alors la victoire d’étape . Dans la descente, Hervé et Rous sortent de l’échappée et Hervé laisse Rous filer. Le regroupement s’effectue entre le groupe Virenque et le groupe Ullrich au km 97. Le Tour est gagné par Ulrich

(2) Un an plus tard son équipe, Festina, sera touchée par un scandale de dopage après l’arrestation du soigneur de l’équipe Willy Voet, en possession d’une grande quantité de produits dopants. Virenque sera suspendu un an… avant de retrouver le maillot à pois

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