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Ici et ailleurs (38) : des bains de jouvence

Se baigner ! A Sadirac, à la fin des années 50 et au début de la décennie suivante, il était totalement impossible de trouver une autre solution pour savourer ce privilège que celle la grande bassine à laver les draps chauffée au soleil. La notion même de piscine appartenait aux rêves des urbains venant en villégiature dans notre campagne démunie. Impossible de plonger ou de nager sauf pour les rares enfants privilégiés (dont ceux de l’instituteur) qui se rendaient « à la mer » durant les vacances, soit avec leurs parents, soit en colo. Pour notre part nous ne manquions ni d’imagination, ni de débrouillardise en profitant ce que je juge avec le recul du temps comme une incroyable liberté d’action.

Le seul obstacle à des baignades rafraîchissantes résidait dans le fait que nous ne savions pas nager et que nous avions l’obligation de nous contenter de plans d’eau où nous aurions pied ou presque. Or bon nombre d’entre eux (mares, étangs) étaient piégeux avec des bords vaseux et instables. Le plus sûr et le plus rassurant se trouvait être le lavoir collectif situé en contre-bas du bourg aux abords du ruisseau de La Pimpine. Il est aujourd’hui abandonné aux salamandres et souillé par les déchets de promeneurs ne sachant même pas ce qu’il a été. 

En ciment lissé ce bassin était nettoyé avec celui de Lorient, au balai brosse toutes les samedis matins par mon père. Il constituait une « piscine » artificielle sans aucun danger autre que celui de se faire chasser et houspiller par les « lavandières » venant y rincer à l’eau vive leur linge de maison. Elles déployaient de grands draps rugueux, des nappes blanches brodées du dimanche, des serviettes surdimensionnées, des chemises démesurées. Ce linge constituait lorsqu’elles le jetaient à l’eau des bulles géantes avant de disparaître dans l’eau. Les femmes déployaient une énergie particulière pour l’agiter tellement le poids déjà conséquent augmentait lors du rinçage et il finissait par couler.

Pour bien éliminer la cendre de bois mise dans la lessiveuse elles multipliaient les va-et-vient entre le rebord incliné du lavoir et l’eau glacée.. Cette « lessive » naturelle riche en potasse était considérée comme très efficace pour dissoudre les graisses et les taches sur les vêtements sales. Son dosage dépendait autant que je me souvienne, de la nature du bois brûlé. La dernière étape consistait à étendre tout le lot sur une prairie afin d’obtenir un linge « plus blanc que blanc » ! Ces lavandières nous privaient d’une belle après-midi de jeux aquatiques sans risques quand l’idée leur venait de se rendre au lavoir. 

La roue de bois cerclée de fer de leur brouette constituait un excellent système d’alerte. Dès que nous entendions ce couinement répétitif ou son bruit sur le gravillon de la route goudronnée, nous décampions sans demander notre reste. Dommage car le plus dur était déjà accompli : entrer  dans l’eau. Celles et ceux qui ont pu s’y plonger savent pertinemment que le handicap essentiel résidait en effet dans La température du bain. Plus la canicule frappait et plus les débuts constituaient un défi. Alimenté en permanence par une source abondante captée dans le talus du chemin d’accès,  abrité du soleil par la voûte des chênes le lavoir permettait parfois au cantonnier de mettre quelques « fillettes » au frais. Sans le savoir nous avions pour notre part anticipé sur les soins de cryothérapie apportés aux sportifs de haut niveau. A force nous nous y sommes comme eux habitués.

A quelques dizaines de mètres de là le ruisseau Pimpine, notre Nil aux trésors vénéré, nous apportait tout au long de l’année des joies inestimables pour les enfants dotés d’une imagination débordante que nous étions. Les suce-cailloux au printemps, les goujons tapis au fond des trous d’eau, les insectes (les libellules et leurs larves, les nèpes, les araignées d’eau…) les martin pêcheurs fugaces ou les martinets as de la voltige assoiffés peuplaient nos leçons des choses de la vie. En été, si le « père » Blondin, marin au long cours époux de la chef de gare était parti sur les océans, nous pouvions utiliser le lieu où il pêchait durant des heures en attrapant plus de cigarettes dans son paquet que de poissons. Sa maigreur m’impressionnait et son silence durable encore plus. Nous ne nous en approchions pas trop.

Sans jamais avoir vu la moindre image cinématographique sur les exploits des aventuriers des mers, j’avais pourtant envie d’aventures aquatiques. Probablement que les lectures de « naufragé volontaire » d’Alain Bombard mais surtout celle de « l’expédition du Kon-Tiki » de  Thor Heyerdahl m’avaient donné l’envie de voyage au long cours dont je ne connaissais pas les conditions précaires. Grâce à l’ingéniosité de mon frère, durant l’été, nous avions réussi à confectionner des radeaux n’ayant rien à envier par leur instabilité à ceux des grands explorateurs. La quête de vieilles chambres à air d’automobiles ou de camionnette n’avaient pas été des plus faciles car elles servaient à des usages paternels multiples dont celui des lanières découpées destinées aux élastiques des frondes. Avec l’ajout de planches volées aux « récupérations » de mon père que nous attachions avec de la ficelle aux boudins circulaires gonflés à bloc, nous avions fini par confectionner des radeaux de véritable fortune ! Chacun avait donc son « navire » pour des batailles navales très acharnées.

Le plan d’eau qui nous permettait ses aventures de pirates et de naufrageurs ne ressemblait en rien aux vastes étendues maritimes. Le trou d’eau situé à quelques dizaines de mètres du pont neuf sur La Pimpine, suffisait néanmoins à notre bonheur. Les assaillants portés par le maigre courant du ruisseau partaient à l’abordage du radeau adverse ancré dans cette « mare » réduite. Le jeu consistait par tous les moyens, à désarçonner l’équipage adverse et lui faire boire une bonne tasse d’une eau bien moins pure que celle du lavoir mais plus chaude. Piscine avez-vous dit ? Impossible de me souvenir que nous ayons renoncé en plein été à nous tremper jusqu’à mi-cuisse, à poil, dans ce lieu discret sans danger. Il manquait néanmoins d’originalité et de standing. 

Cet article a 4 commentaires

  1. Gilbert Soulet

    Tiens donc, quelques paragraphes répétés !
    Amicalement, Gilbert de Pertuis

  2. Jean Michel deyris

    Que de souvenirs nous étions moins difficiles sur nos loisirs que les enfants d aujourd’hui toujours penchés sur leurs smatphones. Moi fils unique j allais passer la totalité de mes vacances d été à Blasimon chez ma grand mère pour disait on profiter du bon air moins vicié que celui de bordeaux. Parfois je m ennuyais ferme n ayant pour simple distraction que la lecture d ouvrages ayant appartenu à mon arrière grand père ancien instituteur à cessac
    Tu fais remonter de vieux souvenirs. Bonne journée jean marie

  3. J.J.

    « Tu fais remonter de vieux souvenirs.  »
    Les garçons du voisinage, que pour d’obscures raisons je n’avais pas le droit de fréquenter (les filles encore moins) avaient trouvé un lieu de baignade au « confluent » de l’Anguienne, notre rivière, et le canal du moulin voisin. À cet endroit, la rivière fait presque trois mètres de large et un mètre de profondeur, ce qui permettait à ces audacieux de tenter quelques brasses. Ils avaient baptisé ce lieu de plaisir « le Bain de Sable « et il m’arrive d’en évoquer le souvenir avec quelques rescapés de l’époque.
    J’enviais évidemment ces joyeux gaillards quand par hasard me promenant, dûment accompagné par un adulte j’assistais à ces modestes et « ludiques » ébats.

  4. Que de souvenirs joyeux!!!!! autant pour la baignade que pour la fonction de rincer le linge!!!!!

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