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Ici et ailleurs (42) : les jeux du rejet et du hasard

Il pratique l’art du grattage avec un soin particulier. Selon le jeu acheté et la complexité la quête du résultat dure de longues minutes. Robin fait durer le seul plaisir que son lourd handicap lui laisse. Il attendait de longues minutes à proximité du lieu de vente avant de se décider à acheter ces cartes ayant le pouvoir (rarement) de conduire à la fortune. Il hésite à sacrifier les quelques euros qu’il lui reste de sa pension hebdomadaire. Sous tutelle il ne dispose pas en effet de son allocation d’adulte handicapé mais d’une somme forfaitaire limitée. Ces semaines au cœur de l’été lui paraissent interminables car sa tutrice étant en vacances il prétend ne pas disposer de son pécule. Difficile de savoir quelle est réellement sa situation.

Totalement livré à lui-même Robin n’a absolument aucun soin de sa personne. Faute d’eau courante chez lui il ne se lave que quand on veut bien nonobstant la fuite ayant entraîné la coupure de son alimentation depuis le réseau, lui redonner quelques minutes d’alimentation. Cette situation dure depuis des mois mais personne ne se décide à demander que les travaux soient réalisés. En très mauvais état général, faute de soins suivis, il se débrouille pour se rendre à Créon tous les jours. Il avait ses habitudes dans son village de résidence mais il a été chassé par les commerçants devant lesquels il s’installait.

Ce rejet dû uniquement à son aspect physique, son absence totale d’hygiène et son addiction pour les jeux s’étend désormais à la cité où il se s’installe la journée. Il n’est toléré qu’au bar où il peut quand il n’y a pas trop de clientèle attendre replié dans son monde une âme solidaire lui procurant sa première carte de grattage. Un verre d’eau et un repas à la fortune du pot l’attendent. En cette période caniculaire ces gestes naturels de la patronne permettent à Robin de se préserver un peu. L’été devient dur pour lui mais étant livré à lui-même il continue selon les seuls repères qui sont les siens.

Mercredi il a retiré sa dotation hebdomadaire après avoir secoué par téléphone le service des tutelles dont il dépend. Il a simplement obtenu que le contrat soit honoré et que l’on oublie pas que l’humanité de l’accompagnement passe par le respect. Oublié… il a « vécu » durant plus de quinze jours tant bien que mal de la manche effectuée dans la rue jusqu’au moment il lui a été intimé l’ordre d’aller chercher ses quelques pièces de monnaie ailleurs. Le simple reflet d’une société qui chaque jour se durcit, se détache de l’élémentaire solidarité, de la simple volonté de comprendre avant de juger. « C’est illégal. On n’a pas le droit de refuser de me vendre des tickets à gratter et même de faire la manche » explique-t-il dans un vain accès de colère.

Celui que certains voient comme un « marginal inquiétant » alors qu’il n’est qu’un malade « oublié » par le système social au nom d’une pseudo liberté que ce dernier lui aurait octroyée a une connaissance exceptionnelle des produits de la Française des Jeux. Il en est devenu un expert ! Les prix d’achat, les consignes de grattage, la diversité des supports et les subtilités des conditions des gains n’ont aucun secret pour lui. Robin ne gagne bien évidemment que des sommes dérisoires malgré ses espoirs et il les reconvertit aussitôt en d’autres cartons différents. Il tient des heures avec son grattage méticuleux, meublant ainsi d’interminables journées sans autres motivations que celle-ci.

Il n’est sûrement pas exempt de tous reproches ou il sait parfaitement jouer avec la sensibilité de celles et ceux auxquels il s’adresse. Robin ne suscite pas l’indifférence mais une forme de haine terriblement douloureuse.   Étrange sentiment que celui qui m’anime en ces mois où tout devrait être détendu, plaisant et convivial. Robin rappelle en effet que pour bien des gens il en est tout autrement. Il y aurait de multiples autres situations. Ainsi une personne elle-aussi handicapée avait un chien d’accompagnement dressé prêté par une organisation caritative depuis de longues années. L’animal s’est enfui par un trou du grillage pour être recueilli et placé à la SPA. Identifié grâce à sa puce le compagnon a été restitué à l’association qui a considéré qu’il était devenu trop « gros » et qu’il était donc maltraité. Il a été retiré laissant sa maîtresse dans un profond désarroi sur son fauteuil roulant. Que faire devant tant de connerie ?

Ailleurs, depuis un lointain abstrait et insaisissable, on prétend « gérer ». Ici le cœur reste la principale valeur à préserver mais on s’en éloigne chaque jour davantage. Combien j’ai envie de reprendre le combat pour secouer cette chape de plomb qui tombe sur un pays croyant que la solidarité relève de circonstances exceptionnelles et d’un achat enrichissant le supermarché où on l’effectue. Je n’arrive pas à me résoudre à l’errance dans le monde de l’indifférence. 

Cet article a 2 commentaires

  1. christian grené

    Errance et indifférence. Ce cirque con fait rance. V’là, m’sieur!

  2. Laure Garralaga Lataste

    Ce monde est impitoyable avec les plus faibles… !

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