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Ici et ailleurs (54) : le sang chaud de la plancha

Le sarment a été, durant des décennies, l’auxiliaire principal de la gastronomie estivale girondine, mieux, il a été considéré comme un label de bonne chère. Il garantissait la cuisson naturelle par excellence donnant un fumet particulier à une alose, une entrecôte, des côtes d’agneau, une côte de bœuf ou des anguilles… Tout était possible grâce à ces branches de vigne dénudée, allumées avec un journal « Sud Ouest » dépassé par une actualité plus rapide que le temps. Dans toutes les familles ayant quelques racines locales, on conservait à l’abri ces « fagots » spéciaux que constituait dans le froid hivernal. En entrant dans une ferme ou une maison ancienne, l’importance du tas de la réserve de sarments servait de repère indiscutable à l’invité sur la qualité de l’accueil.

Les familles où l’on consommait des dizaines de paquets, ligotés avec un fil de fer ou mieux avec un lien en osier, vivaient souvent en autarcie, et réservaient l’épreuve du feu aux mets authentiques, tirés du congélateur. Depuis quelques années, le cours du sarment taillé en brosse, soigneusement fagoté, n’a cessé de grimper, car les personnes susceptibles de l’assembler ne sont plus légion.

On broie, on déchiquette, on pulvérise comme disait Bernard Blier dans les Tontons flingueurs. Il faut vraiment chercher pour dégoter une vigne sans risques chimiques, dans laquelle il soit possible de constituer une réserve saine de bois à grillades. En effet, un sentiment de méfiance s’est installé à l’égard de ce combustible qui, pourtant, constituait le nec plus ultra de la culture culinaire locale, puisqu’il établissait le lien entre le terroir, la viande, le poisson et le vin.

Désormais, la plancha a triomphé de tous les sarments arrosés de produits nocifs donnant une « saveur » particulière aux aliments grillés. Le réchauffement climatique a progressivement remonté vers le Nord les habitudes et les effluves espagnoles de ce mode de cuisson. Tout le monde se délecte de « sa » plancha, qui lui procure l’immense plaisir de devenir un Bocuse du « surnaturel ». Tous les « producteurs-cuisiniers » ont adopté cette mutation technologique, qui tourne le dos au terroir, mais qui rassure la clientèle. Le charbon de bois a été lui aussi relégué au rand des produits dangereux. 

La grillade demeure pourtant le plat impérial de l’été. Elle conjugue rapidité, originalité et saveur. L’homme abandonne alors sa zapette, sceptre de son pouvoir familial sur la télévision, pour se muer en maître-queux, ce qui convient à son ego de mâle dominant. Il a acquis dans une grande surface une plancha qu’il juge exceptionnelle par sa facilité d’utilisation et il s’est muni de ces ustensiles que les bourreaux de l’inquisition n’auraient pas désavoués : piques, fourches, pelles, racloir…pour pouvoir impressionner les visiteurs du soir.

Le journal a disparu, les allumettes récalcitrantes aussi, les cageots brisés en petits morceaux ne sont plus utiles et le grill et le barbecue ont été relégués au rayon des objets pour brocante. On tourne le bouton du gaz fourni par les Russes de guerre ou celui qui vous met instantanément au courant pour se lancer dans la cuisson de plein air. L’homme au sang chaud des ambitions, sorte de Don Quichotte ou de Sancho Plancha de la cuisine estivale a effectué son entrée dans la légende familiale. Plus question pour lui de se muer en moulin à vent pour activer une flamme récalcitrante, ou de ressentir les affres du gazage par fumées se voulant aussi mouvantes que le vent qui les pousse. La plancha devient la Rolls des réceptions festives d’été entre potes. Elle reflète la classe sociale !

En fait, on oublie souvent que l’essentiel reste ce que l’on pose sur la plaque de fonte. L’entrecôte devrait par exemple en être prohibée puisqu’elle y perd l’âme que lui donne la braise infernale soigneusement disposée sous elle. Elle redevient un bout de bidoche d’été que l’échalote ne parvient pas à sauver, même si elle a été préparée avec soin par un boucher connaisseur. Une tranche de bœuf de Bazas ne doit être condamnée qu’au bûcher, car elle ne peut pas mourir autrement, sous peine de sacrilège. La plancha lui retire en effet toute noblesse. C’est pratiquement maintenant la seule référence pour de bons sarments noueux et robustes, car tout le reste finit sur une plaque en fonte.

En définitive, le progrès considérable de la plancha, c’est qu’elle est opérationnelle à l’extérieur et qu’elle préserve la cuisine de toutes les odeurs exhalées par des produits habituellement interdits de séjour. Tous les poissons trouvent leur vraie place dans les assiettes puisqu’ils n’empestent que le voisinage… bien informé ainsi de la présence, sur l’espace surchauffé, de sardines argentées ou des tranches de thon de moins en moins rouge.

Tout devient possible, puisque le ciel absorbe les « fumets » de ces grillades odorantes. Les audaces deviennent alors accessibles à tout un chacun en matière de choix sur l’étal du poissonnier : moules, lotte, espadon, merlu, gambas, seiches… et la plancha transforme en met réputé valable pour la santé les trouvailles les plus saugrenues. Le végétarien rêve de ces tranches de légumes rôties sur un feu invisible avec une goutte d’huile d’olive..; et saupoudrées d’herbes réputés venir des garrigues provençales.

Il existe aussi des choix plus rustiques, que détestent souvent les bobos de la plancha. Avez-vous par exemple essayé cet été les « tricandilles » ? Ces tripes de cochon ressemblant à de la dentelle plus ou moins fines, sont transformées le plus souvent en andouilles aseptisées. Là, sur la fonte elles frisent dans leur état naturel. Inutile de prévoir des sauces sophistiquées, car la tricandille se suffit à elle-même. De l’ail finement coupé, placé sur cet intestin plus ou moins gras, donne la pointe suffisante pour réveiller les papilles endormies.

Bien évidemment, le grill sur des sarments du vignoble reste le dispositif idéal mais, si vous êtes un véritable amateur de ce met oublié depuis que le porc n’appartient plus à la vie quotidienne, vous serez pardonné de prendre le risque d’enfumer votre entourage avec les effluves de la plancha. Un seul conseil : ne faites des tricandilles que si vos invités sont amateurs authentiques et tenus à distance, car si le vent tourne, ils peuvent revenir chez eux avec un parfum du terroir…

Cet article a 6 commentaires

  1. J. J.

    « Chez nous », le fagot de sarments s’appelait une javelle(avec le J aspiré, bien connu en pays gabaye) et était, pour les puristes ou les économes, attaché avec un brin d’osier, de vime ((Salix viminalis). Certains boulangers en stockaient des montagnes pour cuire un pain que les moins de vingt et même de cinquante ans etc.

    Et oui, ça aussi , ça rappelle des souvenirs, comme la troisième mitan des séances de don du sang dans les petites communes de campagne. Avec le personnel du Centre de Transfusion et les organisateurs bénévoles, nous organisions un solide casse croûte. Il y figurait souvent un beau steak, offert généralement par le boucher du coin. J’avais la charge de le cuire à point sur un feu de sarments vierges de produits chimiques, religieusement entretenu, puis de le servir sur un lit d’échalotes.
    Je ne me suis pas converti à la plancha (d’ailleurs interdite dans l’immeuble) et n’en ai nul regret. D’ailleurs avec l’âge, je suis de moins en moins carnivore.

    1. Gilles Jeanneau

      Félicitations de la part d’un descendant de gabaye (mes ancêtres paternels sont de Marsas) qui a, bien souvent dans sa jeunesse, été chercher la javelle pour cuire le rumsteack . Moi je préférais l’entrecôte mais ma mère ne l’aimait pas …
      et je m’incline bien bas devant Sancho de la Plancha!!!
      Bonne journée

  2. christian grené

    Ton titre hilarant m’oblige à l’anagramme du jour que je dédie à Laure: « Miguel de Cervantes Saavedra ». Et Sancho allait cheminant, mangeant derrière son maître don Quichotte … Il considérait comme de tout repos d’aller à la recherche des aventures et « de cavaler au vent des mirages ».
    Hasta pronto!

  3. MARTINE PONTOIZEAU-PUYO

    bonjour Jean Marie
    EXCELLENT TON BILLET DU JOUR. QUE DE SOUVENIRS DE SÉJOURS PASSES CHEZ DES AMIS DE LA FAMILLE A ST LAURENT DU BOIS.
    ILS RECUPERAIENT TOUS LES SARMRNTS ET EN AVAIENT UNE PLEINE GRABGE

  4. alain

    dommage maintenant c est interdit…………

    1. François

      Bonjour !
      Il n’y a pas d’interdiction mais une simple précaution.
      Toutefois,il y a maints autres moyens de s’empoisonner autorisés voire même quasiment imposés (voir une récente campagne …encore en cours !)
      Malgré cela, et pour ce plaisir subtil, bonnes grillades …sur les sarments ! Vous risquez moins que sortir dans votre rue en cette période !
      Cordialement.

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