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La lumière essentielle du jour de rentrée

A qui doit-on souhaiter bonne rentrée en ce jour toujours particulier ? Aux élèves diront les parents et les grands-parents qui pensent que leurs chères petites têtes brunes, blondes, peroxydées ou « éméchées » ont besoin d’encouragements pour supporter les cours. Quelques autres moins nombreux veulent encourager les enseignant(e)s face au défi qui les attend et dont les exigences souvent dues aux défaillances des parents sont ignorées. Très rares sont ceux qui ont une pensée pour tous les autres personnes des établissements scolaires qui permettent une vie matérielle harmonieuse (nettoyage, nourriture, entretien, administration, santé, accompagnement des enfants en situation de handicap…) et bien qu’en première ligne au quotidien ils sont trop souvent « oubliés ». Comme ce sont les collectivités territoriales qui les gèrent le fait qu’ils n’en manquent pas et que tout soit prêt apparaitra comme une évidence.

Les micros, les caméras, les carnets de notes tenteront d’illustrer à leur manière le départ d’une année scolaire dont nul ne connaît vraiment le déroulé compte tenu des incertitudes pesant sur la société. Les déclarations officielles parleront d’une rentrée globalement satisfaisante, histoire de dire que ce ne fut pas le bazar intégral mais seulement partiel. Inutile de le reprocher au Ministre actuel parce que la trentaine qui ont sévi depuis mon entrée au cours préparatoire et jusqu’à ma retraite n’a jamais tenu de discours autre que celui que tout allait pour le mieux dans le meilleur monde des écoles possible. 

Aucun d’entre eux n’a eu l’idée de faire lire en ce moment privilégié de rentrée où les esprits sont encore ouverts un résumé de la lettre de Jean Jaurès aux instituteurs. Ce fut fait lorsque ce malheureux Samuel Paty fut égorgé pour avoir exercé son métier d’éducateur dans toute l’acception de ce terme. Comme le veut notre système social nous ne revenons aux valeurs fondatrices du vivre ensemble qu’après un malheur, une atteinte épouvantable à la liberté, la laïcité ou la fraternité. Le reste du temps, nous considérons que tout rappel n’a aucune utilité et donc on attend l’arme au pied pour ne froisser personne.

En ce jour de rentrée l’opinion dominante s’attachera à l’écume des événements. Dans toutes les déclarations ces mots sont introuvables ; le renforcement du caractère « laïque » non négociable du système scolaire, le « respect » réciproque des enseignants et des élèves, la « mixité » sociale seule garante de « l’égalité » des chances. Certes je conçois qu’il soit passéiste de se référer à un politicien de la III° République alors que nous avons eu depuis la parution dans La Dépêche du Midi datée du 15 janvier 1888 tant de donneurs de leçons installés sur le trône ministériel mais c’est un besoin permanent. Il donne sa véritable dimension à un métier qui ne peut pas devenir seulement celui d’un technicien de transmission du savoir sous peine d’être vite totalement dévalorisé! Instruire, enseigner, éduquer : tout est dans ces quelques lignes d’il y a 134 ans

Qui oserait rappeler ces missions essentielles aux enseignants de tous niveaux  : « Vous tenez en vos mains l’intelligence et l’âme des enfants ; vous êtes responsables de la patrie. Les enfants qui vous sont confiés n’auront pas seulement à écrire, à déchiffrer une lettre, à lire une enseigne au coin d’une rue, à faire une addition et une multiplication. Ils sont Français et ils doivent connaître la France, sa géographie et son histoire : son corps et son âme. Ils seront citoyens et ils doivent savoir ce qu’est une démocratie libre, quels droits leur confère, quels devoirs leur impose la souveraineté de la nation. Enfin ils seront hommes, et il faut qu’ils aient une idée de l’homme, il faut qu’ils sachent quelle est la racine de nos misères : l’égoïsme aux formes multiples ; quel est le principe de notre grandeur : la fermeté unie à la tendresse. » Doit-on changer grand chose à ces principes ? C’est à la fois simple et ambitieux, concret et exaltant, confiant et exigeant.

L’école étant de moins en moins une sorte de réserve artificielle isolée quelques heures par jour du monde environnant, il ne serait pas inutile de reprendre cet autre paragraphe d’une indiscutable actualité. « Il faut qu’ils (les enfants) puissent se représenter à grands traits l’espèce humaine domptant peu à peu les brutalités de la nature et les brutalités de l’instinct, et qu’ils démêlent les éléments principaux de cette œuvre extraordinaire qui s’appelle la civilisation. Il faut leur montrer la grandeur de la pensée ; il faut leur enseigner le respect et le culte de l’âme en éveillant en eux le sentiment de l’infini qui est notre joie, et aussi notre force, car c’est par lui que nous triompherons du mal, de l’obscurité et de la mort (…) »

Comme dirait mon ami Bernard je suis un homme du passé. J’en ai pleinement conscience. Mais il n’y a aucune nostalgie dans ces retours sur un texte qui recèle encore bien d’autres richesses. Simplement l’envie que la société se réveille. Ce n’est pas et ce ne sera plus jamais les « rustines » qui redonneront du sens au métier d’enseignant mais une réforme de fond (et pas seulement formelle) permettant d’éviter des têtes de moins en moins bien faites pour assumer l’indispensable rôle de citoyen dont l’avenir a tant besoin. «(…) Lorsque d’une part vous aurez appris aux enfants à lire à fond, et lorsque, d’autre part, en quelques causeries familières et graves, vous leur aurez parlé des grandes choses qui intéressent la pensée et la conscience humaine, vous aurez fait sans peine en quelques années œuvre complète d’éducateurs. Dans chaque intelligence il y aura un sommet, et, ce jour-là, bien des choses changeront. » Jaurès y croyait en 1888 ! 

Cet article a 6 commentaires

  1. J.J.

    « Jaurès y croyait en 1888 ! » Oui mais nous sommes en 2021, les préocuaptions sont autres : ce qui compte c’est que les ménagères n’utilisent pas leur machine à laver à 18 heures, de telle façon que ceux qui ne sont rien ne puisent causer préjudice aux utilisaturs de jet ski et autres porteurs de Rollex.
    Quant à l’avenir de la jeunesse, c’est un sujet subsidiaire, on s’en occupera, comme le climat, quand il n’y aura plus rien à ésperer.

    1. christian grené

      Holà! ça y est, j’ai compris. Derrière J.J. se cache Jean Jaurès. Le bouquet de… followers pour ce jour de rentrée.

    2. Bruno DE LA ROCQUE

      Et alors, vous ne croyez même pas dans le Conseil National de la Refondation ? Refonder l’école de la République, refonder la laïcité, refonder l’égalité des chances, refonder… Bon ! il y a du maille…
      Ce texte de Jean-Marie est pensé et écrit de main de… maître. Et relire Jaurès, tout comme d’ailleurs faire l’effort de relire la loi de 1905 et d’autres textes de la fin du XIXème – début du XXème siècles montre à quel point ces déclarations et écrits sont parfaitement actuels et que ce n’est pas passéiste de s’y référer.

  2. Bruno DE LA ROCQUE

    En fait, mon commentaire ci-dessus était une réponse à J.J.
    Évidemment c’est en souriant (jaune…) que j’ai écrit les trois premières lignes.

  3. Laure Garralaga Lataste

    Ce qu’il ne faut jamais oublier… Si la première guerre mondiale éclate le 28 juillet 1914, le grand Jean-Jaurès, lui, sera assassiné 3 jours après… le 31 juillet

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