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Les soirées du besoin d’oublier des limites

« Bonsoir. Qu’avez-vous de très fort ? Je veux une bouteille de costaud. Plus fort que le vin ? » Quand en fin de nuit au stand du viticulteur installé au marché de nuit de l’hippodrome de Craon, d’une démarche hésitante et avec une élocution difficile, un jeune se présente avec ses billets à la main pour poser cette question, je me sens incapable de lui répondre. Lui faire la morale ? Sans effets à coup sûr. Lui refuser brutalement ? Le risque d’une réaction imprévisible. Tenter de la raisonner ? Mission impossible.

Il n’est pas le seul dans un état d’ébriété avancée. Rares sont ceux parmi les moins âgés présents sur le site qui n’ont pas dépassé les limites de l’alcoolisation en adéquation avec le contexte familial de la soirée. Les bouteilles de rosé frais ou de Bordeaux supérieur n’entrent pas en ligne de compte. Elles n’attirent qu’une minorité de ces éméché(e)s du samedi soir. Par contre les pintes de bière succèdent aux pintes de bière devant la structure d’une grande chaîne de lieux de vente de ce breuvage. « Alors qu’avez-vous de très fort. On a envie de s’éclater ! » relance le client agrippé à la robuste table servant de comptoir.

En lui objectant qu’il se trouve chez un viticulteur et pas dans une boite de nuit ou un bar il ne semble pas comprendre qu’il ne trouvera pas ce qu’il cherche. « Tant pis je vais prendre une bouteille de rosé ! » explique-t-il avec quelques difficultés. « Combien êtes-vous ? » La question me permet de vérifier qu’il ne boira pas seul. « Six ! » Tant mieux car ce sera un verre par personne. Le groupe au loin avec ses verres réutilisables attend semble-t-il le retour du breuvage libérateur. Leur « fournisseur » veut régler avec une carte sans contact, signe des temps où tout devient… sans contact ! A peine ouvert le flacon de rosé s’en va vers sont sort funeste voulant qu’il soit dépouillé très rapidement de son contenu. I

J’ai rarement vu autant de jeunes enivrés. Des couples dont on ne ignore quel est le soutien réel de l’autre, partent vers des destinations inconnues. Une fille vient demander dans quelle direction se trouve la sortie car elle ne s’en souvient plus. Elle regarde dans le direction indiquée et l’emprunte comme si elle voulait échapper à une suite La fin d’un concert ayant déchaîné les décibels mais pas les foules marque le retour vers le bercail. La nuit happe des déambulations incertaines ou pour le moins instables. Cette minorité visible surprend. Qu’est-ce qui pousse ces adultes à boire ainsi ?

« Après la période Covid, tout le monde a envie de se rassurer sur son espace de liberté. L’inquiétude générale incite à oublier m’explique Kyllian. Durant des mois, les contraintes ont été nombreuses et il leur semble que le monde d’après doit permettre de rattraper ce que ces jeunes de milieu aisé la plupart du temps, trouve comme du temps perdu ! » Ce garçon paisible comprend cette envie d’exploser les limites. Les crises succédant aux crises le phénomène a pris une ampleur nouvelle. Il parle « d’évasion » comme si le monde actuel ressemblait à une prison avec ses « barreaux sociétaux » de plus en plus nombreux. Le phénomène de l’alcoolisation ne semble pas en cette soirée inquiéter qui que ce soit !

À 17 ans, plus d’un jeune sur deux (57 %) a déjà connu l’ivresse et près d’un sur deux (49 %) a été ivre dans l’année précédant l’enquête. L’ivresse régulière (au moins dix fois au cours des douze derniers mois) concerne 10 % des jeunes de cet âge. Chez les 18-25 ans, 34 % ont été ivres dans l’année et 6 % l’ont été de façon régulière. Là encore, l’ivresse est un comportement très masculin : ainsi, les garçons de 17 ans sont 1,4 fois plus nombreux que les filles à avoir été ivres dans l’année, ce ratio s’élevant à 2,8 pour les ivresses régulières. Les enquêtes confirment ce que j’observe depuis mon poste « d’encaisseur-déboucheur » !

Vers une heure du matin, les groupes se sont dissous sur les centaines d’hectares du site. Quelques « sans direction fixe » escaladent les grilles d’enceinte car le labyrinthe des chemins conduisant à la seule sortie autorisée ; d’autres errent vers des issues qui ne leur seront d’aucun secours ; bien des automobiles restent sur le pré jusqu’à ce que la situation redevienne normale. Les quelques étoiles qui percent entre les nuages sont les témoins privilégiés de cette forme de détresse dont on ne mesure pas les conséquences. Autant me consoler en pensant que moi-aussi parfois j’en encore envie d’exploser les garde-fous ! Une manière comme une autre en avalant à petites lampées mon verre de rosé frais, de me persuader qu’il m’arrive encore d’être jeune malgré moi.

Cet article a 7 commentaires

  1. Philippe Conchou

    Le covid a bon dos.
    Il y a longtemps que les jeunes, garçons et filles, picolent avec excès lors de leurs sorties.
    Avec parfois des conséquences dramatiques et mortelles sur les routes.
    S’y ajoute la drogue, que quelques inconscients disent inoffensive.
    Que faire ? Ringardiser? eduquer? Ce qui est sûr c’est que interdire ne sert à rien

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à Philippe
      … un rappel de cet aphorisme de Jean Yanne : « Il est interdit d’interdire… « 

  2. J.J.

    Il semble que les « d’jeunes », du moins certains, se complaisent dans une sorte de déléctation de la morosité, qui rapelle -toutes proportions gardées- le « spleen » romantique. Bien sûr, la « conjoncture » n’est pas drôle, mais l’a-t-elle jamais été ? Et en plus, certains jouissent de facilités, de biens, de confort, de conditions de vie que les anciens, toutes générations condondues n’auraient même pas imaginé : un exemple entre autres, le nombre de voitures individuelles devant les lycées, espaces qui jadis étaient parfaitement déserts.
     » Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur
    Et leur chanson se mêle au clair de lune,… »
    Paul Verlaine Clair de Lune

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à J.J.
       » Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur… » N’est-ce pas le problème de la jeunesse d’aujourd’hui ?

      1. François

        Bonjour @ Laure et J.J.!
        Si ces vers semblent seoir à ce feuillet, je pense que le mal vient de « bonheurs » multiples, à disposition aisée, donc ….sans valeurs voire destructeurs ! !
        Amicalement.

  3. christian grené

    Sujet sensible. Il y a à boire et à se démanger quand je vous lis. « On n’est pas sérieux quand on a 17 ans ». Et, sur le sujet, Rimbaud qui en connaissait un rayon pour avoir beaucoup bourlingué en « roue libre », n’y allait pas de main morte.
    Mort à la fleur de l’âge, après « Une saison en Enfer », il avait juste eu le temps d’écrire ces derniers mots prémonitoires: « L’automne déjà!… Et je déteste l’hiver parce que c’est la saison du confort ». Arthur voulait sans doute dire « con fort ».

    1. François

      Bonjour @Christian !
      « On n’est pas sérieux quand on a 17 ans » ….certes c’est la sève de la jeunesse et certains le restent jusqu’au dernier pas ! Mais doit-on hypothéquer son avenir et celui de ses proches par du plaisir devenant vice ?
      À chacun son choix ….en raison gardée !
      La Vie est un exercice de funambule jusqu’à l’écart final … inexorable.
      Amicalement.

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