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Le contenu est essentiel, la cruche l’est moins

Quel est l’intérêt dans la société actuelle d’une cruche ? Il devient de plus en plus difficile de trouver à cet ustensile ménager en poterie des mérites débouchant sur une journée de fête. Mieux l’appellation elle-même a une connotation péjorative que peu de monde souhaite porter. « Tiens toi qui est du pays des cruches clamait le directeur du collège en s’adressant à moi, vas au tableau ! » Cette phrase résonne toujours comme une incitation à la modestie et un rappel que la terre natale n’a pas toujours la valeur qu’on lui prête.

Récipient, généralement en terre cuite, d’une contenance de quelques litres, à col étroit et doté d’une ou deux anses permettant le transport et la mise à disposition de l’eau domestique, du lait, de l’huile ou du vin. Son rôle fut donc essentiel tout aux longs des siècles d’avant la matière plastique ou l’aluminium. Croire qu’elle était facile à fabriquer relève de l’ineptie tant ce contenant nécessite une dextérité que peu de monde possède dans le monde actuel.

Partir de la motte d’argile humide posée sur un tour pour faire naître une poterie joufflue, parfaitement circulaire et symétrique ne s’obtient qu’après de multiples manipulations de la terre toutes plus précises les unes que les autres. Caressée, dirigée, comprimée, élevée, rabaissée, allégée la matière première ne semblait jamais atteindre son but. Un excellent tourneur mettait un bon quart d’heure pour donner vie au ventre et fignoler la base de l’objet. On trouve sur les plus anciennes d’entre elles la trace des doigts qui atteste de sa fabrication manuelle !

Devenue accessoire décoratif aux usages très variés, elle s’arrache dans les brocantes à des tarifs qu’elle n’a jamais connue dans l’histoire. Dans tous les romans narrant les habitudes du peuple elle accompagnait les servantes ou les filles exploitées. Alphonse Daudet dans Le Petit Chose décrit la mésaventure de Jacques qui en se rendant chercher de l’eau va revenir penaud avec son précieux récipient brisé. Rien n’était en effet plus précieux dans la maison que la cruche servant à protéger les biens les plus précieux pour le quotidien.

Des dizaines d’expressions font référence à celle qui irait trop à l’eau avant de se casser ou qu’un conseil méprise en précisant qu’il vaut mieux s’intéresser au contenant qu’ à celle qui le protège. Il n’en reste plus beaucoup intactes car elles ont eu du mal à résister aux maladresses des utilisateurs. Les tessons deviennent alors les repères de ses usages et plus encore de son âge. Elle ne survit aux épreuves du temps qu’en morceaux ce qui la rapproche des Hommes.

La cruche me rassure car elle a un tour de taille proche du mien mais m’inquiète par sa fragilité. Pansue et robuste elle contraint cependant à imaginer que rien ne résiste vraiment aux accidents de la vie. En une fraction de seconde elle n’a plus aucune utilité. Ne subsiste souvent d’elle que les morceaux de son bec verseur, de son anse et son fond base de sa naissance. Le reste sera oublié par la postérité car jugé sans intérêt.

En lançant la cruche sadiracaise hier toute la journée des centaines de personnes ont pris un malin plaisir à expédier sans le savoir le plus loin possible le symbole désuet d’une industrie locale florissante. Bien des habitants de ce village ont en effet dû au XVIII° leur fortune aux pots. C’est en cette journée du patrimoine, cette permanence de la valeur de le terre bleue de Sadirac que les organisateurs voulaient surtout mettre en avant. Les mouvements des populations dans la France périphérique a considérablement éloigné les nouveaux arrivants des richesses du territoire qui les accueille. Cet écart entre les racines du passé et les soucis du présent finit par conduire aux excès de tous ordres et même électoraux.

Lancer une cruche paraît tellement dérisoire en cette époque des jeux virtuels, tellement anachronique ou banal, tellement ridicule ou sans intérêt. La joie sincère, rafraîchissante et communicative des personnes porteuses de handicaps tranchait dans cette période où il faut de l’extra… ordinaire pour espérer séduire les foules, avec parfois les chicailleries des autres participants. Pour eux le bonheur était sur le sable des pistes et pas nécessairement dans le jugement que les autres portaient sur leurs performances.

J’aime la naïveté de cette journée de rassemblement, de partage et d’acceptation des différences. Elle témoigne que l’essentiel repose sur la solidarité dans l’action et la volonté que l’on met à ne surtout pas prendre les autres pour des cruches !

Cet article a 2 commentaires

  1. christian grené

    Puisque « tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse », que ne va-t-elle cette petite sotte au rosé? Au vin, tout simplement. Il a du Pif, lui. Finissez quand même votre café.

  2. J.J.

    Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse prétend la sagesse populaire, à moins que dans un contexte différent, comme le prétend Don Basile « Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle s’emplit » .

    J’admire toujours le merveilleux travail du potier dont les « mains en or », transforment un informe bloc de terre en une élégante forme.

    Il n’est pas étonnant que dans les mythologies antiques, à la source de toutes les religions, un thaumaturge donne vie à une forme façonnée à partir d’un bloc de terre et crée l’homme (et non la femme, le machisme semblant consubstantiel à toute soi disant civilisation).

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