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Le silence de la mort de nos valeurs plane sur Oradour

 Une famille de rouge-queue batifole d’une embrasure de fenêtre à l’autre. Les poursuites et les voltes se succèdent. Tant le merle furtif que le corvidé qui croasse sur un arbre perché arborent une tenue de deuil d’un noir profond. Ces quelques oiseaux sont les seuls êtres vivants en ce dimanche matin dans le village martyr d’Oradour sur Glane. Ils ignorent tout de l’Histoire contrairement aux tilleuls et aux chênes centenaires qui ont été les témoins du massacre vieux d’un peu plus de 78 ans. Ils sont les seuls qui ont grandi et prospéré dans ce bourg figé par le feu. Impossible de ne pas imaginer que

On les prétend sensibles et réactifs aux contexte dans lequel ils vivent. Ont-ils dans le ventre de leur tronc volumineux, les cris d’horreur, les pleurs déchirants, les claquements secs des rafales d’armes automatiques, les hurlements des centaines d’habitants enfermés dans l’église, les vociférations des bourreaux, les vrombissements des moteurs ? Ils conservent leurs secrets mais veillent en sentinelles immobiles sur ce qui fut une bourgade joyeuse du temps où ils étaient jeunes. Il n’y a que pour eux que le temps ne s’est pas figé.

Déchiquetés ou mutilées, n’exhibant que des moignons de pierres aux teintes diverses, laissant sortir de leurs entrailles vides des lambeaux de briques rouges les maisons de la plus humble à la plus vaste sont restées blotties les unes contre les autres. Le vide et le silence meublent ce qui furent des intérieurs cossus ou d’une grande simplicité. Tout était pourtant généralement humble ou utilitaire dans cette bourgade devenue le symbole de la cruauté de porteurs d’uniformes préposés à la création de l’enfer sur terre.

La longue rue principale emprisonnée dans la toile d’araignée rectiligne du tram et quelques portées de fils pour hirondelles n’osant plus venir n’a plus que l’animation des passants presque tous silencieux qui l’arpentent lentement. Ils se penchent par une fenêtre béante ouverte sur le ciel. Ils s’arrêtent devant ces panneaux les invitant à se recueillir devant un site où un massacre d’innocents a eu lieu. En couple, en famille, en groupe avec un guide ces visiteurs murmurent leurs remarques sous un ciel d’encre d’un dimanche matin où sonnent les cloches d’une église tentant de faire oublier celle, muette, tétanisée et dénudée après avoir connu les déflagrations, les tirs, les flammes et l’effondrement du cataclysme de l’horreur

Une nef ouverte sur le ciel, un autel livide et porteur de blessures profondes, une chapelle encore dotée de quelques ex-voto probablement rénovés et dont la bouche béante du tabernacle émet un appel silencieux au secours. La mort rode. Elle s’entend dans ce silence qui pèse sur le lieu d’un massacre collectif de femmes et d’enfants. Comme un symbole supplémentaire de sa présence deux plaques de marbre intactes portent les noms d’une centaine d’hommes fauchés par la Guerre 14-18. Seul le clocher et un christ rongé par la rouille du temps ont tenu bon dans ce tsunami de rage et de fureur.

La vie était là. On imagine les fleurs des tilleuls séchant sur un drap acheté chez Emma la marchande de tissu, les chevaux attachés devant la forge de Fernand maréchal-ferrant, les pochtrons sortant de la demi-douzaine de cafés ou de l’estaminet de Thomas, les odeurs du pain frais venant de chez le boulanger René, les moteurs Renault du garage moderne ou les cris de la récréation à l’école de filles de Denise Bardet. Quincaillier, cordonnier, charron, courtier, assureur, puisatier, épicier, pharmacien, restaurateur, boucher, garagiste, hôtelier, lainière, médecin… les acteurs ne manquaient pas en ce mois de juin 1944 et tout le monde pensait qu’en vivant cachée la ville vivrait la moins malheureuse possible.

Tout a été enseveli après la fureur dans le monde du silence. Partout des « cadavres » calcinés jonchent le sol des demeures, des bureaux, des ateliers ou des magasins désormais peuplés de fantômes. Tous les objets du quotidien jonchent le sol parfaitement entretenu. Une dizaine de machines à coudre rappelle le rôle des femmes comme les symboles de leur part prise à la vie sociale.

Des enchevêtrements de cercles de tonneaux ou de roues, des marmites ou des poêles démantibulés ou des squelettes de bicyclettes ou de lits gisent comme témoins d’une existence simple. Des faucheuses pour cheval prêtes au départ, des pompes mutilées ou des auges taillées dans le granit manquant d’eau fraîche attendent la fin de l’inactivité éternelle à laquelle elles sont condamnées.

Oradour : Oradour outragé ! Oradour brisé ! Oradour martyrisé mais Oradour qui n’a jamais été libéré car écrasé, éventré, assassiné, brûlé par une horde barbare enivrée de haine. Les dizaines d’enfants innocents dont les portraits meublent une fresque du centre de la mémoire interpellent sur notre passivité ou notre indifférence. Qu’avaient-ils faits pour entrer dans l’éternité silencieuse ?

Cet article a 10 commentaires

  1. Laure Garralaga Lataste

    Après ce dramatique rappel… respectons ces morts innocents et n’oublions jamais… cette barbarie qui rôde, toujours et encore, cachée, déguisée d’un voile respectable pour mieux tromper un peuple sans Mémoire…
    Que devrait nous rappeler ce 25/09/2022… ? Apparemment pas grand chose, et pourtant… !
    Merci Jean-Marie ! Et n’oublions jamais que l’Histoire bégaye.

  2. mothe

    Magnifique papier, très émouvant et si vrai !

  3. Yvon Bugaret

    Merci Jean-Marie de rappeler la tragique histoire d’Oradour Sur Glane. Lors d’un retour de vacances dans le secteur, nous avons fait une halte sur ce village martyr. Horrible ce que les Nazis ont pu faire. Discrètement, j’ai réalisé des photos pour en faire un montage vidéo que j’ai mis en ligne sur le site de TCC. Voici le lien de lecture de cette vidéo.
    http://www.telecanalcreon.fr/spip.php?article1812

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à Yvon
      Ce qui est horrible et qui doit nous garder en alerte… C’est que l’Histoire bégaye… !

  4. Laure Garralaga Lataste

    15 décembre 1939… Après une… longue marche de 200 km environ dont j’évite de souligner les détails guerriers, mes parents arrivent le 05 février 1939 à la frontière (la Junquera/Perthus) ! Ils fuient la guerre d’Espagne.
    Je naîtrai à Bordeaux le 07 de ce mois de février 1939 ! Voilà pourquoi, ayant vécu dans le ventre de ma mère l’exode et ses conséquences, je peux comprendre aujourd’hui les terribles conséquences que transmettent « les guerres » aux générations futures…

  5. J.J.

    Excusez la longueur, c’est extrait de mes souvenirs d’enfance.
    Je ne relis jamais ce texte ni n’évoque ce souvenir sans une grande émotion.

    9) Le village martyr
    Vers le douze ou treize juin 1944, une amie vint nous voir. Elle revenait du Limousin où elle pouvait se rendre de temps en temps, ayant ses propriétés à gérer dans la région de St Junien. Elle nous raconta une horrible histoire : les allemands étaient venus dans un petit village proche de St Junien et avaient massacré toute la population puis incendié et réduit en cendre l’agglomération. Seul, un jeune garçon s’était échappé en se cachant dans une fosse d’aisance.
    Malgré la confiance que nous avions dans cette personne, nous avons eu de la peine à ajouter foi à ce récit. Hélas, il était authentique, c’est ainsi que nous avons appris les premiers détails sur le sort tragique du village d’Oradour sur Glane, dont nous n’avions jusqu’alors jamais entendu parler.
    Quelques années plus tard, cette même amie m’a proposé d’aller visiter le village martyr. C’étaient des parents de son locataire américain (du camp américain de La Braconne) qui avaient proposé de nous emmener. Mais ce locataire était marié avec une allemande. J’ai refusé tout net d’aller faire ce pèlerinage avec des allemands. Le ressentiment envers nos anciens occupants était encore vif à cette époque. J’avoue que je n’avais pas la grandeur d’âme de Manouchian, chef des FTP M.O.I., fusillé le 21 février 1944 qui écrivait dans sa lettre d’adieu :  » je meurs sans haine pour le peuple allemand ».
    Plus tard, un ami de St Junien m’a guidé dans cette visite. J’avoue que je n’ai pas beaucoup parlé tout le temps que nous avons traversé les ruines, j’avais la gorge trop serrée.
    Malheureusement, ce sinistre événement, hormis le souvenir que l’on continuait à entretenir avec respect n’allait pas tarder à revenir bruyamment dans l’actualité.

    En janvier 1953 s’est ouvert à Bordeaux (bien trop tard diront certains, beaucoup trop tôt affirmeront d’autres), le procès des responsables de cet ignoble forfait, tout au moins celui des « lampistes » rescapés de « Das Reich » que l’on avait pu retrouver. On crut l’émotion à son comble lorsque l’on apprit que parmi les 21 accusés se trouvaient 14 alsaciens, redevenus français depuis 1945. Parmi ces 14 hommes, un seul était engagé volontaire dans la S S, les autres, la plupart âgés de moins de dix-huit ans au moment des faits, étaient des « Malgré Nous », germanisés et enrôlés de force dans la Wermacht puis affectés dans la S S. On connaissait mal à cette époque dans le reste de la France, le monstrueux calvaire qu’avait subi l’Alsace occupée et germanisée de force.
    Le rôle du tribunal fut rude car il était difficile aux jurés de condamner ces hommes (je parle des « Malgré Nous ») qui étaient pratiquement des innocents, payant pour les vrais coupables, morts ou en fuite. Il était aussi difficile de les relaxer face à un public traumatisé et qui criait vengeance. Seul l’engagé volontaire fut condamné à mort et les autres à des peines de principe. Ce verdict déjà fut fort contesté.
    Lorsque l’on apprit que le parlement avait voté le vingt février 1953 une loi d’amnistie pour les condamnés, cette fois dans la région l’émotion fut à son comble. Mais que pouvait-on faire d’autre ?
    Cette malheureuse affaire créa une discorde compréhensible, aujourd’hui effacée, entre l’Alsace et le Limousin. Chacun aveuglé par sa propre souffrance ne pouvait pas admettre les arguments des protagonistes.
    À l’époque nous avions discuté en classe avec notre professeur principal de cette affaire. Nous, voisins et presque témoins du drame, nous nous révoltions contre cette clémence.
    Notre professeur avait été requis par la « Luftwaffe » pendant l’occupation pour aller creuser des abris dans le roc pour l’aérodrome de Châteaubernard. Il nous expliqua :
    « Lorsque vous savez que celui qui vous donne un ordre braque un pistolet dans votre dos, vous êtes peu portés à la désobéissance ».
    Si ces malheureux alsaciens avaient tenté de désobéir, ils auraient été irrémédiablement et inutilement abattus, ils n’auraient rien empêché. Leur seule faute était de s’être trouvés là,  » malgré eux « .
    Heureusement les dissensions se sont peu à peu effacées et les bons souvenirs ont fait oublier les mauvais. Visitant un jour Strasbourg, mon guide eut à coeur de montrer les rues qui portent des noms de localités de notre région, surtout du Périgord, en remerciement de l’hospitalité dont les réfugiés de 1940 bénéficièrent en arrivant chez nous. Il m’est arrivé également de résider quelques jours dans la banlieue de Strasbourg. Lorsque mes voisins, m’ayant questionné, ont connu ma « provenance », ils se sont livrés à des démonstrations d’amitié et m’ont offert des fruits edes légumes de leur jardin, évoquant leur malheureux voyage et le réconfort qu’ils avaient trouvé.

    1. Laure Garralaga Lataste

      Quand la Raison l’emporte sur la Haine !
      Merci ami J.J. pour ce récit à méditer.

  6. facon jf

    Bonsoir,
    c’est de bien loin que j’écris ce commentaire après avoir lu le billet de JMD du jour. Je reviens juste de Mostar en Bosnie et cette visite répond à propos au sujet du drame d’Oradour. La guerre et ses horreurs ont frappé ici aussi durant la guerre de Bosnie presque 50 ans après la fin du conflit mondial. Mostar a considérablement souffert de la guerre de Bosnie-Herzégovine (1992-1995). Trois camps s’y sont affrontés : tandis que les Serbes tenaient les hauteurs, les Croates avaient parqué les Bosniaques (Slaves musulmans) dans le ghetto de la vieille ville, sur la rive est de la Neretva. Le 9 novembre 1993, un obus croate abat le Stari Most, le « vieux pont » ottoman, symbole de la ville. Depuis le printemps 1992, la ville et sa région sont touchées par plusieurs offensives militaires menées par l’armée populaire yougoslave (JNA) et les troupes paramilitaires des Serbes de Bosnie. Ni préparée ni organisée militairement, ayant observé de loin la guerre en Croatie, la population bosniaque applique la politique pacifiste dictée par Alija Izetbegović. Cette passivité entraînera une prise des montagnes environnantes et d’une partie de l’est de la ville par les troupes serbes. Ce 9 novembre est un nouveau jour de siège presque banal dans la vieille ville – quelques centaines de mètres de large et quelques kilomètres de long , prise en sandwich  » entre les Tcheniks et les Oustachis « , prise en étau entre l’armée de la  » République serbe de Bosnie « , immobile sur les montagnes à moins d’un kilomètre à l’est, et les forces de la  » République croate d’Herzeg-Bosna « , à l’offensive, depuis la ville nouvelle à 200 mètres et les collines de l’ouest.Dans Mostar assiégée vivent 50 000 personnes presque toutes musulmanes. L’eau courante, comme l’électricité ou la viande, sont des souvenirs qui datent de sept mois, d’avant le siège.
    Ce n’est pas le calvaire des assiégés qui émeuvent le monde mais la destruction de ce dernier pont ( vieux de 5 siècles). Cette destruction est condamnée par la communauté internationale et provoque la consternation chez un certain nombre d’habitants croates de la ville attachés au symbole de leur ville. Bien plus tard lorsque le conflit à officiellement pris fin avec les accords de Washington (18/03/ 1994) et de Dayton, signés le 14 décembre 1995 à Paris, mettent un terme aux combats interethniques qui ont lieu en Bosnie-Herzégovine.
    Des équipes mixtes croates et bosniaques, avec l’aide d’une entreprise turque, ont reconstruit à l’identique le pont et son quartier. Le nouveau pont est inauguré le 22 juillet 2004 symbole de paix il est admiré par une foule de badauds qui ignorent tout de cette histoire.
    Oradour, tout comme Mostar sont des symboles à conserver vivants dans nos mémoires pour que toutes ces horreurs ne se reproduisent plus.
    Mais hélas, plus à l’est de nos pays les combats ont repris…
    Bonne soirée

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami jf
      Merci d’avoir rapproché ces deux territoires et villes martyrs… pour ne rien oublier ! Et merci d’y avoir associée l’espérance de la reconstruction réalisée par les Croates et les Bosniaques. Pour Oradour sur Glane, ce fut impossible !

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