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Semer le doute en mettant à vif les racines

Ce sera probablement la dernière des rencontres autour de la mémoire de l’immigration italienne. Depuis la sortie du roman « Les 9 vies d’Ezio » j’ai tenté de sensibiliser des centaines de personnes à une autre vision de la venue sur notre territoire de chercheurs d’un espoir d’un sort meilleur. De tous temps le rejet de « l’autre » a occupé les esprits. Quel qu’il soit il devient un « gibier à pourchasser » car il est suspecté de voler le pain que bien des « chasseurs » ont du mal à gagner ou ont eu bien du mal à amasser. Croire que le racisme disparaîtra un jour de la planète relève de l’utopie absolue. Il y aura toujours des hommes que seront des loups pour les autres Hommes.

Les plus dures, les plus exigeantes, les plus hargneuses sont souvent les générations des immigrés installés et ayant durement conquis leur place dans la société. Elles ne supportent pas que des « arrivants » viennent troubler une intégration durement acquise. Pour peu que la peau ou la religion interfèrent dans l’appréciation portée sur le malheureux qui s’installent on atteint alors très vite le niveau le plus élevé de haine. C’est tellement vrai que c’est devenu le fonds de commerce de partis fascisants prompts à dévorer le cadavre puant du racisme ordinaire. La raison n’intervient pas et la propension des médias à se gaver de ces discours xénophobes relève désormais de l’idée toute faite psalmodiée comme un psaume cruel et délirant.

Lors ce ces rencontres mémoires où si le silence règne durant la présentation de la « saga des cimentiers de Postua » à la fin quelques langues se délient avec une certaine retenue. Tous les témoignages plus bouleversants les uns que les autres traduisent une forme de libération de la parole. La vie en Italie au moment du départ, la dureté de ces moments où l’on quitte ses racines, l’accueil plutôt compliqué, les conditions matérielles de cette vie différente des rêves, l’exploitation d’une main d œuvre « bon marché », les quolibets ou les insultes, les exigences d’un école publique peu amène / tout ressurgit en quelques mots confiés avec douleur ou avec (et c’est le plus étonnant) fierté !

La troisième génération prend conscience du chemin parcouru, elle tente de retrouver une part de l’histoire familiale. Souvent lors des rencontres ces petits-enfants viennent avec un photo en plus ou moins bon état ou avec une reproduction mise sur leur téléphone. Elle leur sert à conserver un lien avec un passé dont ils ne connaissent que des bribes, que des récits qu’ils ont longtemps cru comme sans intérêt. Tout à coup ces aïeules et ces aïeux leur constituent les fondations de leur propre existence. « Mais comment vous expliquez qu’en Entre Deux Mers où les immigrés sont nombreux le vote soit maintenant majoritairement d’extrême-droite ? » La question d’un auditeur passionné a le mérite de la franchise.

En fait c’est probablement parce que les descendants de ces Italiens, ces Espagnols, ces Polonais ? ces Portugais ne connaissent pas les origines du départ de leurs parents ou grands-parents de leur pays natal. Tous pensent que ce fut un acte intéressé alors que rares sont les migrants heureux de quitter leur village, leurs proches, leurs amis, leur terre pour une destination incertaine. L’absence de transmission a gommé les dures réalités de ces actes marqués par la nécessité de trouver l’espoir ailleurs. Le monde a changé et la réussite d’alors ne sera jamais plus celle d’antan. La misère, la peur, les sévices, la famine ne cessent par contre de croître.

Ces rencontres mémoires ne visent pas à convaincre car c’est désormais impossible. La volonté de faire germer dans les esprits le grain du doute suffit comme objectif. En revenant en arrière, en expliquant sans juger, en décrivant sans assommer et en dialoguant sans imposer il est en effet parfois possible de changer la vision portée sur l’immigration. Espérer un sursaut, une appréciation détournée des poncifs ravageurs du racisme « soft » préside à ces rencontres autour d’un livre. L’espoir m’a porté à chaque pas vers des lectrices eet des lecteurs potentiels. 

Je n’ai pas touché et je ne toucherai pas un seul euro sur la vente du roman « Les 9 vies d’Ezio » pour avoir la liberté d’agir à ma guise. Je ne vends rien. Même pas du rêve. Le militantisme n’a plus de sens s’il ne repose pas sur des valeurs davantage que sur une carte de fidélité à des personnes sans âme et sans foi. Aller vers les autres devient un acte désuet. Partager des valeurs et pas des faits divers appartient à un autre monde.

Partout où l’on a cédé à la facilité soit en se recroquevillant sur des certitudes soit en sombrant dans l’indifférence la route a été ouverte aux idées les plus nauséabondes. Hier soir en rentrant de Gensac j’étais heureux. Du monde, une ambiance confiante et des rencontres passionnantes. La citoyenneté a eu sa chance !

 

Cet article a 14 commentaires

  1. christian grené

    « La citoyenneté a eu sa chance ! » Aux larmes, citoyens!
    Et bon week-end à tou(te)s.

  2. Alain PAULY

    Une coquille, Jean-Marie .
    Tu voulais dire : « Partout où l’on a cédé à la FACILITE » (?)

  3. Laure Garralaga Lataste

    « Croire que le racisme disparaîtra un jour de la planète relève de l’utopie absolue. »
    Tu auras beau dire… Tu auras beau écrire… Puisque l’Espoir fait vivre… Je garderai toujours en mon cœur l’espérance en cette utopie, et qu’elle se réalise un jour… !

    1. christian grené

      Hoy, por una ultima vuelta en roue libre, qu’une sangria pure abreuve nos passions!
      Abraracourzos.

      1. Laure Garralaga Lataste

        @ à mon ami christian … qui a une dette !
        Merci d’utiliser… « tu última vuelta » à mes re-lectures qui vont s’amonceler sur ton book !

  4. Bruno DE LA ROCQUE

    À la fois une exhortation ou plutôt un appel à la transmission de la « mémoire », un constat pessimiste sur le refus de l’ « autre » et une conclusion à un roman, cette (probablement dis-tu) ultime rencontre avec la mémoire de l’immigration italienne ne peut évidemment laisser indifférent ton lectorat.
    À commencer par celles et ceux qui sont la deuxième et la troisième génération d’immigrants d’Italie, de Pologne, d’Espagne, du Portugal, d’Afrique du Nord…
    Mais, je ne peux m’empêcher aux deuxièmes et troisièmes générations… des « harkis » qui savent que leur terre d’accueil est celle dont les dirigeants ont abandonné et/ou « rapatriés »(**) sans enthousiasme leurs grands-pères et arrières grands-pères à l’issue d’une guerre de décolonisation…
    Je ne peux également m’empêcher de m’interroger sur le devenir de migrants désespérant de l’évolution politique et/ou économique de leur pays et qui veulent choisir notre mode de vie, habiter nos territoires, s’intégrer à notre société, et pourquoi pas désirer la naturalisation. En association d’accueil, nous en avons vu défiler… et pouvons observer celles et ceux qui veulent « rester ». Nous mêmes en voyons un, enfui du lointain Bangladesh, déjà « francisé » au possible (sauf dans son expression orale) : quelle mémoire entretiendra-t-il ? Fera-t-il souche en France ? etc ?

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ Laurita à son ami…
      Merci cher Bruno… pour cet appel !
      Et si ça t’intéresse … Sache que les Espagnols aussi… ont des choses à raconter et qu’ils les racontent…! Sache aussi que nous sommes aux côtés de nos amis Harkis !

      1. Bruno DE LA ROCQUE

        En écrivant « Espagnols », il est évident que j’ai pensé aux Garralaga ma chère Laure. J’ai aussi pensé à Nuñes (prénom oublié), un vieux militant de la section socialiste d’Aurillac (c’était… il y a presque 50 ans), rescapé d’un massacre franquiste, qui fut méfiant lors de mon adhésion et présentation à la section (rappel : le Cantal, fief des La Rocque-Sévérac) avant de me prendre en réelle amitié…

        1. Laure Garralaga Lataste

          @ à mon cher ami Bruno
          Sais-tu qu’à 83 ans, je vais pouvoir récupérer ma nationalité espagnole ! Enfin… si « la Faucheuse » me prête vie car… je te dis pas le nombre de documents à fournir !

        2. Laure Garralaga Lataste

          @ è propos de Nuñes…
          J’ai connu des Núñez, tous anonymes… et, il y a peu, un Nuñez plus connu… francisé malgré lui ? À demain…
          Je repars à mes écritures… !

    2. Bruno DE LA ROCQUE

      J’ai oublié mon petit rappel (**)
      (**) Le mot rapatriés peut choquer. Comme d’ailleurs pour les « pieds-noirs » qui se sont plutôt sentis expatriés…
      Mais, l’Algérie jusqu’à juillet 1962, c’était la France (départements français d’outre-Méditerranée). Par extension, le rapatriement a été utilisé lorsque des unités ou des petits groupes de supplétifs ont pu être embarqués avec des troufions français qui « rentraient ».

  5. Laure Garralaga Lataste

    La douleur de « l’arrachement aux racines » ne peut être racontée que… par ceux et celles qui l’ont vécue et surmontée !

  6. José Fernandez

    Les honorables « Boucard de la Roquette » toujours en circulation, certes en version plus sophistiquée…

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