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L’humour et le rire sont en voie de disparition

Lorsque en début de nuit je me place devant mon clavier pour écrire une chronique je cherche désespérément un sujet pouvant briser la gangue de pessimisme qui nous enserre chaque jour un peu plus. L’envie est tellement forte de dénicher le sujet qui vous prêterait à sourire que je tourne et retourne les pages de l’actualité avec acharnement. Rien! Pas le moindre trait d’humour à se mettre sous les doigts. Les informations s’affichent toutes plus sombres les unes que les autres. Localement, nationalement ou internationalement les faits ne provoquent qu’inquiétude et anxiété et l’accumulation rend le contexte d’une extrême noirceur.

Les humoristes ne font plus recette et désormais il ne faut pas se permettre le moindre écart sous peine de froisser une part plus ou moins importante de la société. Le premier degré a déjà bien du mal à passer et le second n’a vraiment plus la côte. En plus tous ces « bonbons » d’événements insolites ; toutes ces caricatures sans limites ; tous ces jeux de mots idiots mais tellement sympas ; tous ces récits d’aventures cocasses ont lentement disparu sous la pression d’une bien-pensance parcellisée aux intérêts divergents mais finalement solidaires. Il faut un courage particulier pour se mettre à dos des lobbies religieux, politico-sectaires ou économiques. Alors on renonce.

La menace de représailles ou d’utilisations des canaux judiciaires constitue désormais la loi commune. Il devient ainsi difficile de railler une personne ou un fait. Tout le monde hurle à « l’égalité » mais rares sont ceux qui l’admettent dans un sketch débridé. Un humoriste prend des risques. Les réseaux sociaux veillent et lui tombent dessus massivement s’il ose un propos un peu osé sur une personnalité bénéficiant d’un statut de vedette. Le fanatisme, l’idolâtrerie, la bêtise, l’ignorance ont aseptisé le monde. Rire devient une tare, un manque de respect, une marque de mépris alors on ne distille plus que l’angoisse et le malheur.

Depuis la dernière rentrée dans sa tranche matinale RTL donne la parole à des trublions qui avec plus ou moins de bonheur, tentent de tourner en dérision de manière parfois incisive les faits divers traversant une société se prenant au sérieux. C’est très inégal mais ça au moins le mérite de mettre un peu de soleil dans l’eau froide des « nouvelles » débitées par les journalistes. Le plus décalé d’entre eux, Philippe Caverivière, intervient devant l’invité de la matinale. Un exercice difficile dont le succès se mesure parfois à la tête de la «personne » qui assiste à une revue pour le moins décapante ou décalée des journaux de tous genres.

Avec les auteurs de sa chronique il pousse le bouchon souvent un peu loin mais ça me fait un bien fou de l’écouter. On est encore loin du « tribunal des flagrants délires » ou des « Guignols de la première génération » mais il y a ce brin d’irrespect, ce zeste d’impudence et ce parfum d’imprudence qui réconcilient avec une vie non stéréotypée. C’est probablement ce qui constitue sa force mais qui pourrait un jour ou l’autre devenir sa faiblesse. Selon les matins, l’auto-censure est perceptible. Des flots de menaces déferlent quand il ose une plaisanterie sur un chanteur coréen célèbre. Aussitôt les « gros » mots sont lâchés : « racisme », « homophobe », «  mépris » comme dans de nombreuses autres situations. C’est un exemple parmi d’autres.

Chaque jour il risque gros. Je voudrai tant être capable de prendre le même risque. J’aimerai vous distraire, vous donner le sourire, vous réjouir. Dans la période actuelle, la moindre parcelle d’humour prend des allures de pépite tirée du flot boueux déversé par les télés obsessionnelles. Pierre Desproges avait déjà résumé la situation présente en affirmant qu’« on peut rire de tout mais pas avec tout le monde ». Comment lui donner tort ?

Jean-Yves Lafesse humoriste expliquait après une campagne contre l’un de ses collègues : « J’ai lu le témoignage d’une représentante d’une association qui disait qu’on pouvait rire, mais dans la bienveillance… Mais le rire n’est ni bienveillant, ni malveillant : on rit toujours de quelque chose ou de quelqu’un. Le rire, c’est fait pour dépasser nos angoisses, nos traumatismes. Quand Desproges disait qu’on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui, la deuxième partie de sa phrase était du second degré. La vérité, c’est qu’on ne peut plus rien dire. Hier, le patron de la radio Rire et Chansons m’a dit qu’une femme l’avait appelé parce qu’il y avait dans un sketch une blague sur les chats… Elle voulait qu’il retire le sketch de l’antenne ! » Révélateur.

Alors dans le fond, je me contente désormais de me bâtir un petit monde avec des joies simples, du « chambrage » décomplexé et de l’auto-dérision bien vécue. Je tends l’oreille et je profite des moindres occasions pour enrichir mon capital de bons moments. Ils deviennent rares et précieux.

Cet article a 11 commentaires

  1. christian grené

    Bien, Jean-Marie, très bien! Je fais le même constat que toi et ça me chagrine dès lors que je n’aime rien tant que m’amuser avec les mots. C’est pas toujours très drôle, mais est-ce si grave en rapport avec ceux que j’entends dans la bouche des procureurs de tout poil? J’en perds mon latin même si est resté gravé en moi la devise « acta sacra, libera verba ». Je n’aurai pas le front de traduire.

  2. Gérard DURAND

    Édifiant !

  3. Gilles Jeanneau

    Oh que oui, c’est un fait!
    Et les médias font de moins en moins de place aux chansonniers…ou ce sont ceux-là qui sont de moins en moins nombreux! Je ne sais pas.
    Pour ma part, j’aime bien les saillies de Sandrine SARROCHE.
    Je lui trouve beaucoup de talent.
    Allez bonne journée quand même.

  4. Laure Garralaga Lataste

    Si je comprends bien cette rubrique du jour, notre « coin coin déchaîné » et Jean Yves Lafesse n’ont plus la côte ! C’est bien dommage… et je comprends mieux le pourquoi de cette violence mondiale qui d’ordinaire est aussi devenu journalière… !
    Alors, en hommage à notre chère Barbara qui ne peut m’en vouloir… :
    Dis Humour, quand reviendras-tu ? Dis, au moins le sais-tu, Que tout le temps qui passe, ne se rattrape guère, Que tout le temps perdu, Ne se rattrape plus… !
     » ¡ Basta ya… de tous ces pisse-vinaigre » !

  5. Maryan

    Caveriviere avant tout s’amuse de lui-même. J’espère qu’il obtiendra un jour le marocain de ministre de la culture.

  6. J.J.

    Le phénomène n’est pas nouveau, nous régressons considérablement !

    « …..il s’est établi dans Madrid (on peut remplacer Madrid par n’importe quelle capitale, ne le prends pas mal Laure, Figaro est en principe espagnol) un système de liberté sur la vente des productions, qui s’étend même à celles de la presse ; et que, pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs. Pour profiter de cette douce liberté, j’annonce un écrit périodique, et, croyant n’aller sur les brisées d’aucun autre, je le nomme Journal inutile….
    Le Mariage de Figaro Acte V, scène 3

  7. facon jf

    Bonjour,
    bonne question que celle concernant l’humour et ses conséquences, personnellement je suis du genre à me fâcher avec un très bon ami pour le plaisir d’une blague qui ne fait rire que moi. Petit exemple, dernièrement dans une réunion un ami mien se trouvait être très insistant sur un détail, me croyant drôle je lui ai demandé si il n’était pas Arménien et si son nom ne serait pas Osktéchian ? Le rire des participants était rassurant pour moi à une exception, non pas ma victime, mais un autre ami réfugié Yéménite à qui il a fallut décoder en Anglais la blague. Comprendre une langue étrangère est souvent long et difficile, comprendre les blagues dans une autre langue est l’un des marqueurs clefs de sa maîtrise.
    L’humour est souvent à l’usage d’une catégorie par rapport à une autre, les blagues belges ou les blagues sur les blondes ou les rousses, tous les registres féroces de la dérision passent par ce biais.
    L’humour est féroce ( faits rosses ) et il blesse parfois, intentionnellement ou pas, cruellement. C’est l’exemple des blagues sur les blondes : les blondes souvent se croient obligées de rire des blagues dont elles sont les victimes. D’ailleurs, les blagueurs ne sont pas assez courageux pour faire des blagues blondes en seul-à-seul, ils utilisent toujours un groupe de façon à ne plus permettre à la personne de sortir de la relation d’humour parce qu’elle va être coupable, trois fois coupable : d’être blonde, supposée bête parce que blonde, et en plus elle n’a pas d’humour. Et donc elle est coincée. Ce sont des mécanismes qui vont permettre d’installer une domination, faut-il éviter ce genre de blagues??
    Le wokisme va-t-il tuer l’humour ? Le wokisme est un mouvement social qui a émergé aux États-Unis, suite à celui des « Black Lives Matter ». Issu de l’anglais et du mot « woke » pour « awake », qui signifie « éveillé », cette idéologie désigne le fait d’être conscient des problèmes de justice sociale et du racisme au sein de notre société.
    Le wokisme conduit à la cancel culture (ou culture du bannissement, en français ). Ce mouvement fait d’éjecter des gens, des œuvres, des idées ou des monuments historiques de l’espace public parce qu’ils ne correspondent pas à certaines valeurs. On a tendance à associer ce phénomène aux wokes, qu’on accuse de militer pour faire annuler des spectacles ou interdire des mots heurtant leur sensibilité de néoprogressistes.
    Pour résumer le mouvement woke a pour objectif de dénoncer les discriminations envers les minorités pour mieux les intégrer et la cancel culture qui est son prolongement exclu en les effaçant les anti-wokes, donc elle conduit à l’exclusion !
    C’est comique un mouvement contre l’exclusion qui exclut ceux qui ne pensent pas comme eux.
    “La religion et l’humour sont incompatibles.” Milan Kundera
    Beaucoup trop d’humains sont morts sous la torture ou exécutés pour une saillie ou un dessin humoristique ciblant croyances et religions.
    « Il n’y a pas de limites à l’humour qui est au service de la liberté d’expression car, là où l’humour s’arrête, bien souvent, la place est laissée à la censure ou à l’autocensure. »
    Cabu – 1938-2015 – interview à L’Express, 4 avril 2012

    Bon repos de fin de semaine

  8. François

    Bonjour J-M !
    Certes, cette période, qui commence à devenir longue et peut-être durable selon le vocabulaire à la mode , n’incite guère au sourire. Mais que sont devenus les remplaçants des Laurel et Hardy, Fernandel, le grenier de Montmartre, les Chansonniers, Thierry le Luron, Coluche, les clowns de «La Piste aux Étoiles » … ??? Il paraît même que les cours de théâtre, de comédie ont disparu au profit (sens 1 et 2 de Larousse!) d’ateliers et cours … de rire ! ! Oui J-M , la situation est tellement grave qu’il faut réapprendre à rire ! !
    Heureusement, nous avons « Roue Libre » ( même si … parfois … la morosité de l’Actualité … ). La Toile sait aussi occuper le créneau grâce à la complicité des Amis et des fichiers bien montés.
    Une citation me chatouille le bout des doigts :
    «Le sourire mobilise 15 muscles mais faire la gueule en sollicite 40. Reposez-vous : souriez ! » ( Christophe André)
    Pour compléter le traitement, n’oubliez pas les séances de l’Assemblée mais surtout, mardi, ne défilez pas …avec le sourire aux lèvres comme je le vois trop souvent! !
    En souriant,
    Amicalement

  9. christian grené

    Et puis quoi, n’est-ce pas Alcofribas Nasier, inspiré par Aristote, qui nous avait enseigné: « Mieux est de ris que de larmes escripre, pour ce que rire est le propre de l’homme »? Une formule, inscrite en ouverture du Gargantua, qui devrait être en enseignée dans toutes les écoles, les mairies, et même… les casernes et les églises. Sacré François!

    1. J.J.

      Tu m’as ôté les touches du doigt, ne pas citer Rabelais, quant on parle de rire devrait faire l’objet de poursuites.
      J’aimerais citer également Raymond Devos, qui ne me procure pas seulement matière à rire, mais plutôt à la jubilation. D’ailleurs comme il aurait pu le dire lui même, quand on prête à rire on n’est pas sûr d’être remboursé.

  10. Cabaretti

    Eh bien oui, il ne faut pas hésiter à se mettre à dos tous les moutons « bien pensants » qui se laissent formater par la société, n’ayant pas compris que le rire était le summum de la conscience et que priver l’humanité de son rire c’est la castrer spirituellement.
    Je suis passé aux actes, et j’ai publié en janvier dernier « La Voie du Rire » (« Et si le rire était le propre de l’âme ?). Dépêchez-vous de le lire avant que…
    Guy Cabaretti

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